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e. lavisse. — déterminisme historique et géographique.

pages, j’en trouve une sur la nourrice, « premier gouverneur » ; mais, tel milieu, telle nourrice. La nourrice flamande a l’air d’élever un bourgmestre ; la nourrice italienne manie le bambino comme un jouet, l’agace en lui retirant le sein pour le lui rendre, en le lui rendant pour le lui reprendre ; elle le chatouille pour qu’il rie, fait mine de le jeter à quelqu’un qui passe. Ainsi a dû être élevé le seigneur Polichinelle. Le milieu qui agit directement sur l’individu agit donc indirectement sur lui par tous les facteurs de l’éducation. Après l’éducation, toute la vie est commandée par cette influence, qui restreint notre liberté. Nous ne la sentons pas trop dans un pays comme le nôtre, qui est de nature tempérée ; ailleurs, elle a le poids de la fatalité.

Il est impossible de concevoir un état de civilisation où l’homme soit jamais affranchi de cette tyrannie. C’est pour ne pas s’en être convaincu que M. Marion, à la conclusion de son livre, se représente une humanité dont tous les membres seront pareillement respectueux du droit.

Dans la seconde partie (De la solidarité sociale), l’individu entre dans la société. À toutes les influences qu’il subit, à celle des qualités et des défauts apportés en naissant, acquis par l’éducation et par l’habitude, s’ajoutent celles qui viennent des rapports sociaux. Jamais plume de moraliste n’a plus finement décrit que celle de M. Marion les effets de la sympathie, dans ses formes vives et dans ses formes diffuses, ni ce qu’il appelle les phénomènes de réaction par lesquels se manifeste l’originalité morale. Mais l’historien réclame une plus grande place pour les effets de la coutume, car la coutume, c’est le milieu historique.

Un plus long chapitre aurait été nécessaire pour décrire l’influence de ce milieu. Si diffuse qu’elle soit, elle est très forte. Cela se verra, le jour où l’histoire de l’intelligence humaine sera faite. Qu’on choisisse à des époques déterminées des écrivains ayant manifesté leur intelligence par des écrits copieux ; qu’on leur arrache par une analyse profonde les mobiles de leur pensée : après avoir multiplié les études de cette sorte, aux époques les plus diverses, on aura quelques éléments d’une histoire de l’intelligence, par conséquent de la morale humaine, et l’on verra la puissance du milieu historique apparaître dans toute son étendue.

La maxime : Vérité en deçà des Pyrénées, mensonge au delà, est fausse, si on la prend dans le sens absolu que lui a donné Pascal. Une montagne n’est pas si puissante ; mais le temps l’est assurément : vérité en tel siècle, mensonge en tel autre.

Quand l’empire romain s’est retiré de l’Occident, dont les peuples