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e. lavisse. — déterminisme historique et géographique.

gens éclairés, précisément parce qu’ils sont bâtis sur des ruines, fondement mal solide, et qu’ils forment le dernier abri de la vie d’un peuple. M. Marion a trop de perspicacité pour n’avoir pas vu, en même temps que « les droits de l’idéal rationnel », l’effet des « nécessités historiques » ; mais il insiste plus sur les droits que sur les nécessités. Or cette persistance de souvenirs républicains dans un État monarchique, de souvenirs monarchiques dans un État républicain, ne sont-ce pas des phénomènes, qu’il lui appartenait de mettre en pleine lumière, de solidarité historique ?

La solidarité historique fait l’objet d’un chapitre, avec et après la solidarité internationale. Il aurait mieux valu intervertir l’ordre : la solidarité historique se fait sentir dans l’État, qui vient après la famille ; la solidarité internationale, dans l’humanité, qui vient après l’État. Sur ce chapitre, qui est excellent, je n’aurais rien à dire, si j’y avais trouvé des faits en plus grand nombre. Dès les premières lignes, on voit qu’on a, pour ainsi dire, affaire au moraliste qui conseille plutôt qu’au philosophe qui observe. « Tout ce qui se fait dans le sens de la pacification générale est semence de moralité en même temps que de bonheur. » Le précepte moral devance ainsi les faits, qui sont cités rapidement, par une sorte de prétention, pour arriver plus vite au beau rêve de la future paix perpétuelle, qui reviendra au dernier chapitre. De même pour la solidarité historique ; le moraliste parle d’abord : « La même illusion qui est si funeste aux individus égare plus encore et bien plus gravement les sociétés ; c’est de compter sur le temps pour effacer les fautes. » Mais la question est bien discutée, de haut et avec précision. Les apparentes contradictions sont nettement résolues.

Nous voici à la conclusion. J’en tiens le commencement : « Résumé et conséquences pratiques » pour un chef-d’œuvre d’exposition. La question du progrès moral dans le passé, qui est étudiée ensuite, l’est à merveille. Peut-être aurait-il seulement fallu mieux expliquer les exceptions, admettre d’une part que le progrès n’est point possible partout ni pour tous et reconnaître la fatalité des milieux qui explique l’immobilité « des vieilles sociétés de l’Orient, vouées à des institutions mortelles pour la raison, comme pour la liberté ; » marquer d’autre part que, dans tout développement historique, il y a des morts et des naissances et aussi des accidents. Il y a une mortalité des sociétés et des gouvernements comme des individus. Ce qui est cessera d’être. L’accident est produit d’ordinaire par des individus nouveaux : ainsi l’invasion des barbares dont il faut étudier l’histoire pour comprendre qu’il puisse y avoir interruption du progrès, sans contradiction aux lois de la solidarité.