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analyses. — h. marion. De la solidarité morale.

à croire « qu’il y a de la contingence à tous les degrés de l’échelle des êtres, et quelque liberté au sein même du mécanisme de la nature. » Il reste sans doute des difficultés ; mais quel système n’en a point ? En résumé, la dialectique la plus serrée ne nous ôte pas le droit de croire à la liberté ; d’autre part, la raison pratique nous en fait un devoir. Cela suffit. C’est un postulat, et il ne faut pas se leurrer soi-même en croyant l’avoir démontré ; mais, après tout, les mathématiques ne reposent-elles par sur des postulats ?

Ces principes posés, M. Marion consacre la première partie de son livre à l’étude de la solidarité individuelle ; la seconde, à l’étude de la solidarité sociale. Sous le nom de solidarité individuelle, il désigne le système fort complexe, le réseau très enchevêtré de ces circonstances particulières à chaque individu, qui le caractérisent en propre, le font ce qu’il est, et constituent, si l’on peut dire, son idiosyncrasie morale : tels sont l’hérédité, le milieu physique et les conditions économiques, l’éducation et les habitudes.

Toutes ces influences, l’auteur les passe successivement en revue. Il prend l’enfant à sa naissance et montre comment, dès le début de la vie, il apporte en germe, outre les facultés essentielles de l’âme humaine, une complexion morale particulière, qui fera son individualité. L’hérédité morale, l’innéité sont ainsi les premiers facteurs du caractère. Peut-être une science plus avancée que la nôtre parviendra-t-elle un jour à déterminer exactement le rôle de l’hérédité ; dès à présent, il semble incontestable que l’imagination, la mémoire, la puissance de réfléchir, la sensibilité en subissent surtout l’influence, et il est facile de voir combien la vie morale dépend de ces facultés, surtout des deux dernières.

Bientôt cependant à ces données tout internes s’ajoutent d’autres circonstances extérieures ; il faut considérer avant tout le milieu physique. Si la vertu est de tous les temps et de tous les climats, on ne niera pas que certaines vertus, la tempérance par exemple, soient plus faciles à pratiquer dans les pays chauds que dans ceux du Nord. Les conditions économiques ont aussi leur importance : on ne saurait exagérer celle de l’éducation première. N’est-ce pas aller bien loin pourtant, et trop bin, que de soutenir, comme le fait un auteur, M. de Frarière, que ce n’est pas seulement au berceau que doit commencer l’éducation, mais avant la naissance, tout aussitôt après la conception ? Il faut se garder en un sujet si peu connu de toute affirmation prématurée ; mais il n’est pas impossible à priori que l’enfant, participant si étroitement pendant la gestation à la vie de sa mère, reçoive le contre-coup des impressions fortes qu’elle éprouve. Mais c’est aux physiologistes de se prononcer sur ne point : tant qu’ils ne l’auront pas fait, il y aura quelque témérité à parler de l’éducation intra-utérine. Par prudence cependant, M. Marion donne aux jeunes mères le sage conseil « de redoubler de vigilance morale, comme si le fruit qu’elles portent devait bénéficier des mérites qu’elles se donnent, ou au con-