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ordre. Et de même de la chimie : elle n’avait pas attendu Lavoisier et Dalton pour naître, et certes nos chimistes modernes comptent de glorieux ancêtres parmi les alchimistes. Et encore pareillement de l’histoire naturelle : il serait peu sensé de soutenir qu’elle n’a commencé qu’avec Linné et Jussieu, qu’avec Cuvier, Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire, et de contester le titre de naturaliste à Aristote. Mais ce qui n’est pas moins vrai, c’est que ces diverses sciences ont subi une mue complète, et sont passées pour ainsi dire de la nuit au jour dès l’instant où un principe supérieur est venu répandre sur elles sa lumière, où est venue les guider une méthode intégrale apportant l’ordre à la place de la confusion et simplifiant en un petit nombre de questions générales l’infinie multiplicité des questions particulières. C’est ainsi que l’astronomie, autrefois d’une si incohérente complexité et embarrassée de tant d’hypothèses disparates, n’est plus aujourd’hui, comme on l’a dit, qu’un grand problème de mécanique ; c’est ainsi que la chimie, noyée auparavant dans la foule confuse des corps particuliers, a vu cette confusion immense se résoudre, et ses éléments innombrables s’ordonner et s’unifier au point de contenir tous, et sans aucune gêne, dans les quelques petites cases d’une nomenclature merveilleusement succincte, où la nature de chaque substance nous est apprise par la place même qu’elle y occupe. C’est encore également que la zoologie et la botanique, qui ne pouvaient ni se reconnaître ni se retourner dans le pêle-mêle et l’encombrement énormes des espèces, ont été tirées tout à coup d’embarras par la théorie de la classification naturelle, c’est-à-dire généalogique, qui, ébauchée par les naturalistes philosophes de la fin du xviiie siècle et du commencement du xixe a reçu finalement sa formule exacte de l’idée transformiste.

Répétons-le, cette révolution féconde, cette palingénésie où plusieurs autres sciences se sont déjà régénérées, la science de l’organisation vivante, du mécanisme de la vie, la physiologie, pour tout dire en un mot, ne l’a point encore connue. Cependant le suprême réformateur et législateur, ce vrai messie, que les mathématiques avaient trouvé en Descartes, l’astronomie en Newton, la chimie en Lavoisier, etc., la physiologie fut sur le point de le rencontrer dans Bichat. Je vais m’appliquer à faire comprendre par suite de quelle erreur elle laissa échapper cette bonne fortune. Mais une courte digression sur la théorie pure de la méthode me paraît d’abord nécessaire.


Au fond, qu’est-ce que la méthode rationnelle d’une science ? C’est une manière de considérer les faits qui font son objet telle qu’on