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boutroux. — zeller et l’histoire de la philosophie

blique. Il s’agit donc d’apprécier les divergences que présentent les ouvrages contestés lorsqu’on les compare aux ouvrages non contestés, et de voir si elles dépassent les divergences que présentent déjà entre eux les ouvrages non contestés.

Reste la question de la valeur des textes. Les sources, en effet, sont plus ou moins immédiates ; et, à mesure qu’elles s’éloignent de l’auteur auquel elles se rapportent, il y a plus de chance pour qu’elles soient mêlées d’éléments étrangers. Il faut donc remonter autant que possible des témoins récents aux témoins anciens, demander à chaque auteur de qui il tient son renseignement, et travailler à éliminer, de chaque témoignage, la part du témoin lui-même, pour dégager, dans toute son intégrité, la part des documents dont il se sert. Ainsi, il existe sur Anaximandre un texte de Simplicius[1], d’après lequel celui-ci ferait sortir les choses de l’infini par voie de séparation (διαϰρίσει), et serait déjà, de la sorte, un véritable mécaniste. D’où vient ce témoignage ? Simplicius semble citer Théophraste : ce qui donnerait beaucoup de poids à son assertion. Or, Théophraste, dans un passage textuellement cité par Simplicius lui-même, attribue à Anaximandre la doctrine d’une substance unique sans qualités déterminées (μία φύσις ἀτρισόος). On ne peut donc invoquer son autorité à l’appui du passage où il est question de séparation des substances. C’est là une assertion qui appartient en propre à Simplicius. Reste à savoir dans quelle mesure Simplicius connaissait par lui-même la doctrine d’Anaximandre. Or, on démontre avec évidence qu’il n’en avait qu’une connaissance indirecte et inexacte. Son assertion est donc sans valeur[2].

Souvent il arrive que le témoin établit un rapport entre deux doctrines. Il faut alors examiner si c’est en reproduisant les vues des auteurs eux-mêmes, ou en raisonnant pour son propre compte qu’il fait ce rapprochement. Ainsi Aristote, comme Théophraste, rapproche Anaxagore d’Anaximandre ; mais il entend dire par là que, selon lui, la doctrine d’Anaxagore, poussée à ses dernières conséquences, viendrait rejoindre celle d’Anaximandre[3].

On peut citer, comme type de discussions relatives à l’authenticité, l’examen auquel M. Zeller soumet l’ouvrage attribué à Aristote sous le nom de Περὶ Μελίσσου, Ξενοφάνους καὶ Γοργίου[4]. Procédant par élimination, M. Zeller montre que le premier chapitre ne peut traiter ni

  1. I. 189 (4e édit.).
  2. Cette distinction des sources mortes et des sources vives préside notamment à l’histoire entière du pythagorisme (I, 254).
  3. I, 192.
  4. I. 453 599.