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La méthode positive d’interprétation consiste à considérer avant tout l’idée maîtresse de l’auteur, et à interpréter, à cette lumière, les parties dérivées et les détails.

Ainsi veut-on savoir en quel sens Thalès a pu dire que l’univers est vivant et plein de dieux[1]. Il faut considérer l’idée qu’il se fait du premier principe. Or, il n’y a que les causes matérielles qu’il ait songé à ramener à l’unité. Il ne soumet pas encore les causes motrices à la même réduction. Il n’est donc pas vraisemblable qu’il ait eu l’idée d’une âme du monde, à la manière stoïcienne. Il a simplement personnifié les forces de la nature par analogie avec l’âme humaine.

Il faut ensuite considérer le degré d’éducation philosophique de l’auteur. On ne peut attribuer à un philosophe une doctrine qui suppose des distinctions encore inconnues à son époque. Ainsi les premiers philosophes ne distinguent pas les causes comme Aristote. Les anciens ne distinguent pas le subjectif et l’objectif comme les modernes postérieurs à Kant. — Anaximandre[2] n’a pu être mécaniste. Car le mécanisme suppose : 1° l’idée de l’immutabilité appliquée, non-seulement à la substance, mais encore aux qualités : idée dont l’origine est universellement rapportée aux Éléates ; 2° l’idée d’une cause motrice distincte de la cause matérielle, idée qui ne commence à apparaître que chez Empédocle, Anaxagore et Démocrite, dans les doctrines de l’Amour et de la Haine, du νοῦς et du Vide. — Les Pythagoriciens ne peuvent dire si pour eux le nombre est cause matérielle ou formelle des choses, cette distinction n’existant pas dans leur esprit. Quand Parménide[3] dit : τωυτὸν δ’ ἐστι νοεῖν τε ϰαὶ οὗνεϰέν ἐστι νόημα, il n’entend pas ramener l’être à la pensée, ce qui serait une doctrine kantienne, mais bien plutôt la pensée à l’être, ce qui est conforme à l’objectivisme antique. Aussi Aristote (Met. IV, 5. 1010, a ; de Cœlo, III, 4. 298, b.) range-t-il Parménide parmi ceux qui n’ont admis d’autre réalité que celle des choses sensibles (τὰ δ’ ὄντα ὑπέλαϐον εἶναι τὰ αἰσθητὰ μόνον).

II. La seconde partie de la méthode est celle qui a pour objet la détermination des rapports ou liaisons causales, qui existent entre les faits.

À cette partie de la méthode préside la seconde face de la théorie kantienne de la connaissance, celle qu’ont vainement tenté de supprimer les successeurs idéalistes de Kant, et qui montre, à côté de

  1. I, 178.
  2. I, 195.
  3. I, 512-514.