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boutroux. — zeller et l’histoire de la philosophie

un but vers lequel n’étaient pas dirigés les processus inférieurs. Ce but, c’est précisément cette forme de la pensée qu’on nomme la vérité philosophique.

Ainsi les faits philosophiques n’ont pas seulement un rapport avec leurs conditions d’existence, ils en soutiennent un autre avec leur cause finale ; et ainsi l’histoire de la philosophie considérée dans son ensemble, ou même une portion importante de cette histoire, comme la philosophie grecque, a en elle-même un sens et une loi de développement, qu’il convient de rechercher.

On peut distinguer à cet égard le point de départ, la loi d’évolution et le point d’arrivée.

1. Les considérations théoriques qui président à la détermination du point de départ doivent être cherchées dans la théorie de l’erreur. Quelles sont, sur les premières démarches de la pensée et les origines de l’erreur, les idées de M. Zeller, c’est ce qu’on peut déduire de sa dissertation sur l’origine du mal moral[1]. Car il dit lui-même[2] que l’erreur est l’analogue intellectuel du péché. La doctrine de M. Zeller, sur ce point, est tout hégélienne, quant à l’esprit général. On peut, en ce qui concerne les débuts de la philosophie, la résumer ainsi.

Le principe supérieur dont l’apparition détermine la naissance du processus philosophique est l’instinct philosophique lui-même, sous sa forme la plus indéterminée. Or, si l’on analyse l’instinct philosophique[3], on trouve qu’il a pour objet : 1° une activité purement théorique ; 2° une véritable science, c’est-à-dire une pensée méthodique, consciemment dirigée vers la connaissance des choses considérées dans leurs rapports ; 3° la représentation de l’ensemble des choses en tant que formant un tout.

Ce principe est essentiellement un, puisqu’il tend à tout ramener à l’unité. Il n’est pas susceptible de plus ou de moins, il ne peut être scindé. Il est, pour la conscience, présent ou absent. Or, lorsqu’il s’éveille dans l’esprit et s’exerce pour la première fois, quel est le contenu qu’il y rencontre ?

L’esprit n’a d’autre faculté intuitive que les sens, dont l’exercice est contingent, et le domaine limité. À. l’origine surtout, les acquisitions expérimentales de l’intelligence sont très-fortuites et restreintes. Elles se bornent aux notions relatives à la vie pratique, au-dessus de laquelle l’esprit ne songe précisément à s’élever que le jour où commence en lui le travail philosophique. Quel sera dès

  1. Ueb. d. Freiheit, etc. (op. cit.), Theol. Jahrb. VI (1874), 2. Das Bœse.
  2. Ibid., p. 223.
  3. Die Phil. d. Gr., I, p. 6.