Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/160

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
150
revue philosophique

lors le parti que prendra la pensée à ce moment nouveau de son développement ?

Elle ne peut savoir que ses connaissances positives sont restreintes et ne représentent que des lois de détail. Car elle n’a pas une représentation de l’ensemble à laquelle elle puisse comparer ses représentations partielles. D’autre part, l’idée philosophique est une simple forme, qui appelle une matière, mais ne peut s’en créer une par elle-même. La pensée commencera donc par appliquer cette forme nouvelle à la seule matière dont elle dispose, c’est-à-dire à ses connaissances expérimentales actuelles, sans se douter de l’immense disproportion qui existe entre ces deux termes. Elle affirmera sans scrupule que la partie est le tout, que le contingent est le nécessaire. C’est l’apparition de l’erreur, laquelle, en ce sens, naît inévitablement de l’idée du vrai en soi, comme le péché naît de la conscience du bien et du mal. L’erreur, comme le péché, c’est l’état de nature érigé immédiatement en état de perfection, c’est la contradiction qui ne peut manquer d’exister tout d’abord entre la manière d’être effective de l’esprit et son essence idéale.

Nous devons donc nous défier grandement de cette méthode d’interprétation symbolique, chère au romantisme allemand, qui cherchait, sous les mythes les plus grossiers, les plus hautes idées intellectuelles et morales, et se représentait volontiers l’esprit humain comme ayant traduit en langage sensible, et de plus en plus obscurci, des idées qu’il possédait à l’origine sous leur forme abstraite et intellectuelle. Lorsque s’ouvrit aux regards des érudits et des poètes, le monde merveilleux de l’Orient, on crut y retrouver cette sagesse supérieure et primitive, dont les mythes grecs n’étaient, pensait-on, que le voile de plus en plus épais et trompeur. On se complut dans cette idée que la lumière avait précédé les ténèbres, que la marche de l’esprit humain avait été une décadence ; et qu’il s’agissait pour nous de remonter, des doctrines sensibles et populaires aux vérités éternelles qui leur avaient donné naissance.

M. Zeller est de ceux qui, plus amis de la raison que du sentiment, et, peut-être, de l’hellénisme que du christianisme, réagissent énergiquement contre cette tendance de l’époque romantique. Il est le champion décidé de cette sobre philosophie (nüchterne Philosophie[1]), qui ramène le merveilleux aux proportions du naturel, laisse aux mots leur sens propre et immédiat, trouve tout simple que les représentants de l’enfance de l’humanité aient eu parfois des idées puériles, et exige, pour attribuer aux termes matériels, un sens sym-

  1. I, 22.