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boutroux. — zeller et l’histoire de la philosophie

bolique, c’est-à-dire, d’une manière générale, pour corriger la lettre par l’esprit, que les auteurs aient explicitement manifesté leur intention à cet égard. La beauté, comme la vérité de l’histoire, est, selon M. Zeller, intéressée à cette exacte restitution. « Je me garderai toujours, dit-il[1], d’abuser du beau nom de philosophie, pour dépouiller les événements historiques de leurs caractères propres, et imposer aux anciens philosophes des déductions contre lesquelles proteste leur propre langage… Les grandes œuvres du passé sont, à mes yeux, de trop nobles choses, pour que je croie les rehausser en les tirant hors de leur milieu et de leurs conditions d’existence. À nos yeux, cette fausse manière de les idéaliser ne les grandit pas, elle les rapetisse. Elle ne saurait, en tout cas, profiter en quoi que ce soit à l’objet devant lequel doit s’incliner toute prédilection pour les personnes ou les systèmes, je veux dire, à la vérité historique. »

Examinés dans cet esprit, les débuts de la philosophie grecque, c’est-à-dire de la philosophie, nous apparaissent comme relativement humbles, en même temps que comme très-considérables par la révolution dont ils sont le signal.

L’idée d’une explication naturelle et universelle se substituant aux explications partielles et surnaturelles, est nettement présente à l’esprit d’un Thalès, d’un Pythagore et d’un Parménide ; et c’est par là que ces personnages président à la création d’un processus nouveau. Quant à l’élément qu’ils choisissent pour lui faire jouer le rôle de cause universelle, c’est celui-là même qui est le plus près d’eux, celui qu’ils ont en quelque sorte sous la main (was am naechsten liegt) : l’élément sensible[2]. Et ils ne commencent pas par considérer l’élément sensible en général ; ils s’attachent d’abord à l’un des éléments qui tombent immédiatement sous les sens, tels que l’eau, l’air ou le feu, etc. ; bientôt ils analysent les données des sens, et y démêlent ou en induisent des principes de plus en plus subtils, plus dignes, selon eux, du titre de principe universel. En somme, jusqu’à Socrate, selon la judicieuse appréciation d’Aristote, les philosophes restent physiciens[3], c’est-à-dire persistent à identifier l’être avec le sensible.

De plus, ce n’est pas après avoir institué une discussion sur les conditions et la portée de la connaissance, que les premiers penseurs s’arrêtent à ces doctrines. Ils n’ont conscience d’aucune direction préalable de leur esprit, avec laquelle ils aient à concilier leurs idées nouvelles. Ils n’ont pas encore ces prédispositions intellectuelles

  1. I, Vorwort, iv.
  2. I, 123, 145, 149.
  3. I, 151, sqq.