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boutroux. — zeller et l’histoire de la philosophie

gonisme est de l’essence même de Terreur. Mais, par là même, les erreurs tendent spontanément à s’entre-détruire et à laisser se dégager la vérité. Chaque fait contraire à la loi est en butte aux assauts des autres faits, comme à ceux de la loi elle-même, et, ne trouvant rien où se prendre, retombe dans le néant. La loi et l’esprit se forment ainsi par une sorte de sélection naturelle, les éléments contraires s’éliminant d’eux-mêmes.

L’erreur, d’ailleurs, ne disparaît pas sans laisser à l’esprit d’utiles enseignements et de fécondes impulsions. D’abord elle lui a, la première, fourni un contenu et communiqué l’existence effective. C’est grâce à elle qu’il a pris conscience de sa nature et de sa destination. Ensuite, elle ne succombe que parce qu’elle avait méconnu le caractère borné des représentations qu’elle érigeait en vue complète et définitive. Elle appelle donc une affirmation nouvelle, qui la corrige en la complétant ; et la spontanéité de l’esprit, sous l’empire de cette sollicitation, va instituer une nouvelle série d’expériences. Mais l’affirmation nouvelle aura d’autant plus de chances de combler entièrement la lacune constatée, qu’elle sera elle-même aussi distincte que possible de la précédente ; et ainsi la chute d’une erreur doit avoir, tôt ou tard, pour résultat la formation d’un jugement symétriquement opposé à cette erreur même. De plus, le discrédit où est légitimement tombée l’erreur précédente, et en même temps la nécessité de développer une idée pour elle-même, si l’on veut que cette idée acquière toute la précision et toute la fécondité qu’elle comporte, entraînent cette conséquence, que l’idée nouvelle ne se bornera pas à revendiquer une place à côté de la précédente, mais la refoulera plus ou moins complètement, et prétendra, à elle seule, être le tout. Ce moment est à la fois un progrès et une décadence : un progrès, en tant qu’un nouveau principe est mis au jour ; une décadence, en tant que sont dédaignés et sacrifiés les avantages que le précédent principe portait avec lui. Il doit même arriver que la révolution apparaisse bientôt comme plus funeste qu’utile ; car elle écarte un principe arrivé à son maximum de développement et doué, par le temps lui-même, de sérieuses conditions d’existence, pour y substituer une idée à peine éclose à la réalité, et dont les avantages, si elle en possède, n’existent encore qu’en germe. Mais l’erreur qu’il s’agit d’extirper continue d’exercer sa mission salutaire, en montrant à quelles conditions doit satisfaire le nouveau principe pour suppléer et dépasser l’ancien. Il se produit une lutte qui favorise et qui dirige l’essor du nouveau principe, et qui lui permet d’acquérir peu à peu tout le développement et toute la puissance dont il est capable.