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delbœuf. — formation de l’espace visuel

Cette réponse se trouve déjà donnée mais très-brièvement dans ma Théorie de la sensibilité[1]. Je n’ai qu’à la développer.

Ce problème se rattache intimement à celui de la formation en nous de l’idée d’espace et même de l’idée d’extériorité en général. Les propriétés du sens visuel sont si caractéristiques que des philosophes ont pu douter que les aveugles-nés aient de l’étendue une notion semblable à celle des autres hommes[2]. Lui seul, en effet, semble-t-il du moins, nous fournit l’idée de la juxtaposition immédiate sans pénétration, de l’aussereinandersein, comme disent les Allemands. C’est ainsi qu’une surface mi-blanche mi-noire nous donne l’idée de la ligne géométrique, de la ligne sans largeur ayant cependant une grandeur et une forme déterminées. Ces deux sensations de noir et de blanc coexistent, tout en s’excluant, au lieu que les sensations respectives de l’ouïe, de l’odorat, du goût, se pénètrent et se mêlent dès qu’elles coexistent. Quand je vois les musiciens de l’orchestre, je me les représente placés à côté l’un de l’autre et nullement confondus, tandis que les sons qui émanent de leurs instruments, bien que distincts, se superposent, se mélangent, s’unifient, pour ainsi dire, en un point de l’âme.

D’autres penseurs, au contraire, tels que M. Bernstein et M. Dufour lui-même, sont d’avis que les images rétiniennes n’ont de signification pour la conscience qu’autant qu’elles ont été coordonnées avec une sensation tactile. En un mot, c’est le toucher qui ferait l’éducation de l’œil et le rendrait apte à un service pour lequel il n’est pas naturellement créé.

Je crois que, de part et d’autre, on ne fait pas dans le phénomène de la vision la part exacte des propriétés optiques et celle des propriétés musculaires de l’œil. Selon moi, par conséquent, si l’appareil auditif ou olfactif étaient organisés sur le même plan que l’organe visuel, ils concourraient de la même manière à nous faire connaître les relations de position des objets extérieurs. C’est ce que je démontrerai en prenant comme sujet de ma preuve l’odorat. En d’autres termes, je vais procéder à la création d’un œil odorant, ou encore, d’un nez voyant.

  1. P. 87 et suiv. Voir aussi Rev. Scient. 31 juillet 1875, p. 106.
  2. Voir la Vierteljahrsschrift für wissenschaftiche Philosophie 1877, 2e cahier, p. 221, et par la même occasion tout l’article de M. Riehl} sur la notion d’espace comme représentation visuelle.