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bine, et par leur harmonie produit quelque chose qui est un. »

Ainsi voilà le problème posé et résolu. Il l’est dans sa plus haute généralité métaphysique, conformément à l’esprit de cette doctrine. Mais c’est accidentellement, à propos des divers genres de l’être, qu’il survient et qu’il est abordé. Aucun, d’ailleurs, des problèmes particuliers qui s’y rattachent n’est indiqué ni soupçonné. L’auteur ne descend pas des hauteurs de la métaphysique pour entrer dans les applications de son principe. De plus, le laid n’est pas en réalité distinct du mal ou du mauvais. La solution est la même que celle du mal ; le côté esthétique ne se détache pas du côté religieux et moral.

Cette solution abstraite et générale est adoptée sans examen par tous les successeurs de Plotin, par les Pères de l’Église comme par les Néoplatoniciens. Seulement il s’y joint la doctrine du péché originel comme véritable cause du laid dans la nature et même dans la vie humaine. Mêlée aussi au platonisme, cette doctrine est le fond de toute l’esthétique chrétienne. Et c’est ainsi qu’elle traverse le moyen-âge. La scholastique, du reste, n’a pas d’yeux pour ces sortes de questions. Tout absorbée qu’elle est par les controverses théologiques, et les discussions qui ont pour objet la logique et la dialectique, elle ne soupçonne pas qu’il y ait matière à raisonner sur le beau et sur le laid. Quand l’art chrétien enfante autour d’elle ses merveilles et couvre le sol de l’Europe de ses monuments, elle n’y songe pas. Si son attention se fût dirigée de ce côté, elle aurait vu que le laid y tient beaucoup plus de place que dans les œuvres de l’art antique ou païen, que partout il y apparaît à côté du beau, avec une intensité et sous des formes jusqu’alors inconnues. Peut-être aurait-elle senti le besoin d’en chercher la raison et de s’en rendre compte. Mais ces questions étaient loin encore d’être mûres. Pendant plus de quinze siècles elles devaient ainsi sommeiller. La Renaissance elle-même ne les soulève pas. Le dix-septième siècle à peine les entrevoit. Le dix-huitième les pose et les débat sans profondeur et sans originalité. Il fut longtemps encore sans les concevoir, comme faisant l’objet d’une science à part. Aussi le problème du laid, quand par hasard il s’offre dans ses recherches ou ses discussions, ne figure jamais sous son vrai nom et pour son propre compte. On croit l’avoir résolu par le principe de l’imitation. Le plaisir que fait éprouver la vue du laid dans les œuvres de l’art ne s’explique pas autrement ; c’est ce qu’expriment les vers de Boileau :

Il n’est point de serpent ni de monstre odieux
Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux.

Dans les traités sur le beau, où la théorie platonicienne ou de