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Ch. bénard. — l’esthétique du laid

répandre partout sur les matières qu’il traite avec une rare distinction, un très-vif et réel intérêt. Ses observations sont fines, ses descriptions exactes, ses jugements bien motivés. Les exemples nombreux et bien choisis attestent ses connaissances variées. Il connaît très-bien notre littérature et il aime à citer nos écrivains. Mais il ne sait pas assez distinguer, surtout parmi les contemporains, les médiocrités des noms qui font autorité et qui seuls ont droit à être pris pour modèles. — Telle est, du moins, l’impression qu’a produite sur nous la lecture du livre que nous voudrions faire connaître et apprécier.

L’auteur, dans sa préface (p. IV), nous donne ainsi lui-même un aperçu de son dessein et du plan qu’il a suivi :

« Personne ne s’étonne que dans la biologie on traite aussi de la maladie, ou dans la morale de l’idée du mal ; dans la science du droit, de l’injustice ; du péché, dans la science religieuse (p. IV). L’idée du laid comme négation du beau fait également partie de l’esthétique, elle est inséparable de l’idée du beau (p. III). Jusqu’ici cette étude n’a pas été faite, du moins dans sa spécialité et dans son développement systématique (Ibid.). »

Quant à la place qu’il assigne à cette idée, il considère le laid comme un moyen terme entre le beau et le comique. Il le suivra, dit-il, dans ses formes à tous ses degrés, depuis ses premiers éléments jusqu’à sa forme la plus élevée, le satanique. « Le monde du laid se déroule ainsi depuis sa première tache nébuleuse, jusqu’à sa forme la plus intense et dans la variété infinie de la désorganisation du beau par la caricature (Ibid.). »

Malgré ce qu’il y a peut-être d’un peu grandiose dans ce début, nous croyons que l’auteur qui a essayé de combler cette lacune dans la science du beau a bien mérité de cette science. « L’esthétique du laid » est peut-être aussi un titre un peu ambitieux ; mais l’idée du laid, comme il le dit, n’ayant été traitée que d’une manière fragmentaire et trop générale pour être bien précisée et déterminée avec les développements qui lui conviennent, il y avait à en donner la théorie et à la réduire en système. Son œuvre ne laisse-t-elle pas beaucoup à désirer ? N’offre-t-elle pas beaucoup de lacunes ? Le plan lui-même est-il naturel, conforme aux exigences de la méthode que l’auteur a suivie ? La dialectique hégélienne qu’il emploie pour construire son édifice dans son ensemble et toutes ses parties n’aura-t-elle rien à y redire ? Nous laissons à débattre ces questions entre les hégéliens eux-mêmes. Nous pourrions déjà opposer ici au maître le disciple qui, avec une grande déférence sans doute, attaque sa théorie et en promet une nouvelle[1].

  1. M. Schasler, Geschichte der Æsthetïk, p. 1026 et suiv.