Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
247
Ch. bénard. — l’esthétique du laid

tous les frais. Le laid et le comique s’y rencontrent. Comment alors, selon l’auteur, est-elle le dernier degré, le point culminant du laid ?

Tel est le plan général de ce livre. Il est loin d’être, on le voit, à l’abri des objections. Nous allons le suivre dans ses divisions principales.

IV

L’auteur sent le besoin de revenir sur l’idée du laid dont il a déjà essayé de marquer la place. Un court article intitulé Du négatif en général (Das Negative uberhaupt), est consacré à ce sujet. Voyons si l’auteur sera plus clair et plus explicite. « Que le laid soit quelque chose de négatif, cela résulte de ce qui a été dit ; mais ce n’est pas le négatif dans sa généralité, sous sa forme abstraite et pure. C’est la négation sous sa forme sensible, car ce qui ne peut se manifester sensiblement n’est pas un objet esthétique. Le beau est l’idée y en tant qu’elle se réalise dans l’élément sensible comme le développement libre d’une totalité harmonique. » — Voilà le beau. Qu’est-ce que le laid ? — « Le laid partage aussi comme négation du beau l’élément sensible de ce dernier. Il ne peut apparaître dans une région abstraite où l’être (Seyn) n’existe que comme concept de l’être » (p. 10).

Si nous comprenons bien, cela veut dire que, selon la théorie hégélienne, le beau étant la manifestation sensible de l’idée, le laid est aussi la manifestation sensible de cette même idée par son côté négatif ; mais cela ne nous apprend rien. Ce qu’il faut ajouter c’est ceci : la négation ici n’est pas simplement l’absence, la privation, ce qui ne serait ni le beau ni le laid, mais l’indifférent ; c’est l’opposition, la contradiction, la révolte (Emporung), la scission ou la diremption, pour parler en hégélien. Cette scission, l’idée doit en sortir pour s’élever par la conciliation et l’absorption (Aufliebung) à un terme supérieur. Tant qu’elle reste dans la contradiction, elle est la négation pure et simple. Et c’est en quoi consiste la laideur. Tel est du moins le sens de la théorie hégélienne.

Nous demandons pardon au lecteur de nous arrêter nous-même si longtemps sur un point que l’auteur ne fait qu’indiquer ; mais nous devons suppléer à son laconisme. Il s’agit d’une œuvre hégélienne, due à l’école hégélienne. Quand l’auteur composa ce livre, cette école jouissait encore d’un haut crédit. Aujourd’hui qu’elle a beaucoup perdu de son prestige, elle est obligée de se plier aux habitudes de la discussion ordinaire et de sortir enfin du laconisme de ses formules.