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Ch. bénard. — l’esthétique du laid

extrêmes de la forme de la terre et de la température. Des lézards à la fois poissons et oiseaux, de monstrueux reptiles pourvus de nageoires pouvaient seuls vivre dans ces immenses continents de terres marécageuses et dans une atmosphère chargée de vapeurs brûlantes. L’ambiguïté des états terrestres devait s’empreindre dans celle des formes animales. Nous trouvons même aujourd’hui, là où la forme du sol est inachevée et la végétation encore jeune, de pareilles existences équivoques, comme chez certains animaux de l’Australie.

L’animal peut ainsi être laid déjà dans son type immédiat ; mais il peut aussi, quoique non primitivement, être laid ; car il peut, comme chez les plantes, être difforme dans son extérieur par la maladie.

« Dans les deux sens sa laideur dépasse de beaucoup celle des plantes, parce que son organisme a plus d’unité, qu’il est plus fermé, tandis que la plante croît et se développe d’une façon plus indéterminée. Dès lors ses formes et ses contours comportent une certaine accidentalité. La structure de l’animal est une et définie. Si, par conséquent, un membre est blessé ou mutilé, l’animal est aussitôt enlaidi. Il ne peut rien perdre de son organisme à l’exception du superflu, des cheveux, des cornes qu’il peut renouveler. D’un rosier on peut couper une rose sans pour cela blesser la plante ni enlaidir sa forme ; on ne peut enlever une aile à un oiseau, la queue même à un chat sans les rendre difformes. À l’inverse, à cause de la structure fermée en soi à priori, la forme animale sera également laide par un superflu qui n’est pas dans son idée. Les membres de l’organisme animal sont par leur nombre et leur position exactement déterminés, car ils sont dans une correspondance organique. Un membre en plus ou à une autre place contredit la forme fondamentale et rend l’animal laid. Qu’un mouton soit né avec huit pieds, cette duplication est une monstruosité, une laideur. »

Toutes ces observations sont justes et ne manquent pas d’intérêt. Il était facile de déduire ici ce qui tient au laid, à la négation, de ce qui caractérise le beau ; mais il était nécessaire de marquer cette opposition.

L’auteur poursuit cette étude de la laideur organique en montrant qu’il en est de même du balancement des organes, de leur mesure, disproportionnée en grandeur et en petitesse. La maladie porte le désordre total ou partiel dans l’organisme, elle produit la décoloration, etc. Plus l’animal est beau dans son type, plus dès lors il est laid par sa forme arrêtée, contournée, amaigrie ou enflée, son dépérissement, ses plaies, etc. Le cheval est le plus bel animal, mais par là même, malade, vieilli, chassieux, efflanqué, il produit l’effet le plus misérable.