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Ch. bénard. — l’esthétique du laid

lier, et à voir comment il s’engrène et s’enchaîne dans ce mécanisme. Nous ne pouvons nous livrer à un tel examen. Nous le disons franchement, l’œuvre totale nous paraît artificielle. À nos yeux le mérite principal est dans les analyses. Un hégélien tant soit peu exercé reprenant cette œuvre défera facilement cette toile plus ou moins habilement façonnée. Quand on arrive aux dernières divisions elle est alors d’un tissu si délié qu’un moucheron passerait à travers.

Nous nous bornons à donner un aperçu très-succinct de cette systématisation des formes du laid.

L’auteur établit d’abord trois grandes catégories dans lesquelles doivent se ranger toutes les formes de la laideur, soit physique, soit morale. La première est ce qu’il appelle d’un mot difficile à traduire en français, la Déformité (die Formlosigkeit) ; la seconde est l’Incorrection, la troisième la Défiguration (die Defiguration oder Verbildung).

La première de ces catégories se subdivise en trois espèces : 1° l’amorphie, 2° l’asymétrie, 3° la disharmonie. Dans la seconde l’auteur traite : 1° de l’incorrection en général, 2° de l’incorrection dans différents styles, 3° de l’incorrection dans les arts particuliers. Le troisième cadre est celui qui comprend le plus de divisions et de subdivisions. Nous y voyons rangés sous ce titre général de la défiguration : 1° le commun, 2° le repoussant, 3° la caricature. Le commun comprend le petit, le faible et le bas. Le bas renferme le vulgaire, l’accidentel ou l’arbitraire et le grossier. Sous ce chef : le repoussant, nous trouvons rangés le lourd, le mort ou le vide. Vient après l’affreux, le dégoûtant, finalement le mauvais (le pervers) au point de vue moral (das Böse). Nous arrivons ainsi aux derniers degrés de l’échelle du laid. Là encore sont classés dans le même ordre, selon le rhythme hégélien de la division tripartite : 1° le criminel, 2° le spectral, 3° le diabolique, qui clôt la série. Mais le diabolique lui-même s’offre sous trois faces distinctes : le démoniaque, le sorcellerique et le satanique.

Satan est l’idéal du laid, comme il est l’idéal du mal. Satan, au fond de cet enfer esthétique, est bien à sa place. Cela rappelle l’enfer de Dante, où les cercles vont en se rétrécissant.

Encore une fois nous ne jugeons pas ce système construit d’après les procédés de la dialectique hégélienne. Nous l’abandonnons aux hégéliens eux-mêmes. Ce qui nous choque, nous l’avouons, c’est de voir la caricature clore cette procession. Elle figure à la fin du livre, comme la forme dernière du laid, le laid arrivé à son maximum.

Soit ; mais alors comment ouvre-t-elle la porte au comique ? N’est-elle pas plutôt le comique dégénéré, grossier, défiguré, sa