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simples sont des multiples de l’hydrogène, de manière que l’hydrogène aurait été la matière primitive dont les agrégats divers ont constitué tous les autres corps. L’idée de Prout n’a pas résisté à l’examen, en ce qui concerne l’hydrogène ; mais on voit qu’elle n’a pas disparu de l’esprit des savants, en ce qui concerne la recherche d’un principe premier unique. Longtemps avant Prout, Boyle avait émis l’idée que toute la diversité des corps que la chimie étudie pourrait bien provenir d’éléments qui ne différeraient entre eux que par la grandeur et la figure. « Quel que soit le nombre des éléments, on démontrera peut-être un jour qu’ils consistent dans des corpuscules insaisissables, de formes et de grandeurs déterminées, et que c’est de l’arrangement de ces corpuscules que résulte le grand nombre des composés que nous voyons. Si, avec des briques de même dimension et de même couleur, nous construisons des ponts, des routes, des maisons, par un simple changement dans la disposition de ces matériaux de même espèce, quelle multitude de composés ne doivent pas produire les groupements variés de ces corpuscules primitifs que nous ne supposons pas tous d’égale forme comme les briques[1]. Il est impossible de ne pas reconnaître dans ce passage la pensée de l’explication mécanique des phénomènes chimiques, pensée conçue, sans aucun doute, sous l’influence de Descartes. Boyle avait onze ans en 1637, au moment de la publication du Discours de la méthode. Leibnitz se plaint avec vivacité de l’abandon de ce point de vue, et du retour à l’idée de propriétés essentielles des différentes matières qui devait caractériser la physique à la fin du xviiie siècle. À la suite de considérations générales sur ce qu’il faut entendre par la nature et la force des créatures, il écrit : « C’est par là que tombent les attractions proprement dites, et autres opérations inexplicables par les matières des créatures, qu’il faut faire effectuer par miracle, ou recourir aux absurdités, c’est-à-dire aux qualités occultes scholastiques, qu’on commence à nous débiter sous le spécieux nom de forces, mais qui nous ramènent dans le royaume des ténèbres. C’est, inventa fruge, glandibus vesci.

« Du temps de M. Boyle, et d’autres excellents hommes qui fleurissaient en Angleterre sous les commencements de Charles II, on n’aurait pas osé nous débiter des notions si creuses. J’espère que ce beau temps reviendra, sous un aussi bon gouvernement que celui d’à présent, et que les esprits un peu trop divertis par le malheur des temps, retourneront à mieux cultiver les connaissances

  1. Pnilosophical Works, tome I, page 193.