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doctrine de l’automatisme des êtres animés. Reste la dualité de l’esprit et du corps. — Dans ses explications physiques, il est bien obligé de supposer la qualité essentielle des corps qui est la résistance dans l’espace[1] ; mais, dans ses théories générales, il oublie cette qualité jusqu’à la supprimer entièrement, pour ne conserver dans la conception du corps que la pure idée de la forme. Il écrit : « J’ai considéré, en général, toutes les notions claires et distinctes qui peuvent être en notre entendement touchant les choses matérielles ; et n’en ayant point trouvé d’autres, sinon celles que nous avons des figures, des grandeurs et des mouvements, j’ai jugé qu’il fallait nécessairement que toutes les connaissances que les hommes peuvent avoir de la nature fussent tirées de cela seul[2]. » Il admet l’identité de la matière et de l’étendue, d’où, il conclut la négation du vide. Il ne nie pas seulement l’existence du vide, mais sa possibilité. Aussi, lorsqu’on lui demande ce qui arriverait si l’on pouvait enlever de l’intérieur d’un vase toute la matière, qui y est contenue, il répond sans hésiter que les parois du vase se toucheraient[3]. Voilà donc la physique réduite à la géométrie, c’est-à-dire, au fond, la négation de la réalité des corps. C’est la conséquence ouvertement tirée par Malebranche qui affirme, au point de vue philosophique, l’identité du corps et de la pensée. Ainsi, les trois éléments : la matière, la vie, l’esprit sont réduits à l’intelligence seule ; l’unité est faite. C’est là l’origine de la méthode fausse qui a si gravement compromis l’œuvre du génie de Descartes. Ayant ramené, sans bien s’en rendre compte, toute existence à la seule pensée, il en conclut que la pensée seule, sans aucun recours à l’expérience, peut construire le système de l’univers. C’est pourquoi en terminant son livre des Principes de la philosophie, dans lequel il affirme avoir expliqué tous les phénomènes de la nature, il écrit : « Je pense qu’on doit reconnaître que j’ai prouvé par démonstration mathématique toutes les choses que j’ai écrites, au moins les plus générales[4]. »

Un autre esprit, formé comme celui de Descartes, par la culture spéciale des mathématiques, va nous offrir un deuxième exemple des erreurs dans lesquelles entraîne une recherche trop hâtive de l’unité.

Les éléments au moyen desquels le calcul rend compte du mouvement des astres sont au nombre de trois : la disposition de la matière en masses séparées par des distances déterminées, la gra-

  1. Le Monde ou Traité de la lumière, chapitre 6.
  2. Principes de la philosophie, partie II, § 203.
  3. Idem, § 18.
  4. Les Principes de la philosophie, partie IV, § 206.