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leur. Il pense, lui, que le plaisir consiste non pas à dépenser de la force, mais, au contraire, à en recevoir. — Ici encore, quoique l’objection soit spécieuse, elle provoque une réponse décisive. « Un être vivant ne peut subsister qu’à cette double condition, de recevoir et de dépenser ; ces deux termes se supposent, loin de se contredire… Qu’il y ait augmentation de force en un être vivant, sans quelque écoulement proportionnel, tout aussitôt se produirait cet excès en plus, non moins douloureux et nuisible que l’excès en moins. D’un autre côté, la dépense toute seule, si elle n’était immédiatement compensée par quelque augmentation correspondante, ne deviendrait pas moins promptement un défaut, un déchet, et en conséquence une douleur. » Et M. Bouillier ajoute avec profondeur : « Remarquons d’ailleurs que l’énergie d’un être vivant a cela de propre que, loin de s’épuiser, à moins d’excès, elle grandit et se fortifie par l’action, tandis qu’elle dépérit par le repos. »

Toute la thèse de M. Bouillier est concentrée dans les pages que nous venons de résumer. Le livre entier a pour objet de développer en tous sens cette doctrine fondamentale, de la confirmer de mille manières, d’en tirer tout ce qu’elle contient. Nous pouvons donc nous contenter à présent d’indiquer à grands traits l’ordre des développements.

Un chapitre sur la crainte de la mort, chapitre d’une lecture agréable, mais presque purement littéraire, qui ne se trouvait pas dans la première édition, est consacré à établir cette vérité, que l’instinct de conservation est le premier et le plus impérieux besoin des vivants. « La grandeur de la crainte de la mort donne bien la mesure de la grandeur de l’amour de la vie. »

L’auteur jetant alors un regard d’ensemble sur les diverses sortes de plaisirs, fait voir que tous, sans exception, depuis les simples plaisirs de la vie organique et de la santé, depuis les plaisirs de l’activité motrice et des sens, jusqu’aux plaisirs esthétiques, moraux et intellectuels, consistent, en dernière analyse, dans l’exercice normal de nos divers modes d’activité. Le plaisir du rire, si difficile à expliquer autrement, se ramène, dans tous les cas possibles à un surcroît d’activité de l’esprit. — Le « plaisir d’un bain chaud, » les plaisirs du sommeil et du repos ne font pas exception à la règle ; ce n’est qu’en apparence qu’ils sont purement passifs. — Point de plaisirs passifs, pas même ceux de l’oisiveté et du far-niente. « L’homme ne peut se souffrir dans l’inaction » ; s’il ne travaille pas, il joue, et tout jeu, physique ou intellectuel, est une vive excitation de. l’activité. Nous ne concevons pas le bonheur dans l’immobilité ; la béatitude céleste elle-même ne nous tenterait pas, s’il nous fallait l’imaginer monotone et sans changement.

Non-seulement le plaisir a pour cause une activité excitée, mais il est lui-même essentiellement excitant ; témoin les signes extérieurs par lesquels il se manifeste. Inversement la douleur, qui a pour cause une activité ou empêchée ou surmenée, est essentiellement déprimante. Si parfois elle semble nous donner d’abord un surcroît d’énergie, l’acti-