Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
333
ANALYSES. — espinas.Des sociétés animales.

l’élément psychique devient prédominant. Nous n’avions rencontré jusqu’ici que des sociétés reposant sur les fonctions toutes physiologiques de nutrition et de reproduction. Ici la société a pour base des habitudes, des tendances, des penchants, surtout la sympathie et le double instinct de subordination et de domination, en vertu duquel dans toute bande, il y en a un qui commande et d’autres qui obéissent.

M. Espinas s’est attaché à établir, à l’aide des faits, les trois propositions suivantes :

1° Le seul passage qu’il y ait de la famille à la peuplade se trouve non dans les relations du père avec la mère et de ceux-ci avec les jeunes, mais dans les relations des jeunes entre eux.

2° Même à l’origine, la famille et la peuplade sont antagoniques ; elles se développent en raison inverse l’une de l’autre.

3° Le véritable élément de la peuplade est l’individu et l’amour d’un être pour ses semblables, ou la sympathie, y est la source de la conscience collective.

Il a bien mis en lumière la seconde thèse qui, au premier abord, semble paradoxale. La réflexion cependant montre que la famille monogame est un petit groupe fermé qui ne peut facilement s’agréger à d’autres, parce que la jalousie susciterait entre les mâles de la même bande des batailles furieuses. Ce n’est que quand les liens domestiques se sont détendus que la peuplade peut naître, et, à ce titre, les familles polygames forment la transition vers un agrégat plus complexe.

Nous regrettons que dans cette partie de son livre qui est consacrée aux sociétés animales les plus élevées, M. Espinas se soit si peu étendu sur les mammifères supérieurs et les anthropoïdes, c’est-à-dire sur les espèces qui se rapprochent le plus des sociétés humaines rudimentaires. Il y a, notamment sur les soins que les singes donnent à leurs petits, sur leur organisation sociale, sur leur police, sur les châtiments infligés par eux aux coupables, des observations curieuses qu’on s’étonne qu’il n’ait pas citées. Évidemment il les connaît, puisqu’elles se trouvent chez les naturalistes qu’il cite si souvent. Pourquoi cet oubli ? — Nous regrettons aussi que, dans sa conclusion, il n’arrive pas à une généralisation plus claire de son sujet, et qu’il n’ait pas mieux mis en relief ce fait (indiqué aux dernières lignes de l’ouvrage), que les associations animales les plus élevées ne sont possibles que parce qu’on y rencontre ces premiers rapports moraux qui sont la condition d’existence réelle et positive de toute société.

Mais ces critiques ne portent que sur des détails ; car la méthode générale de l’auteur nous a paru très-bonne. Il a eu le mérite, rare chez ceux qui s’occupent de psychologie animale, de traiter son sujet pour lui-même ; tandis que la plupart de ceux qui s’en sont occupés en France, semblent n’avoir eu qu’un but : rabaisser l’animal pour mieux donner à l’homme le spectacle de sa grandeur, ce qui est bien superflu. Il s’est proposé d’écrire un livre de doctrine, non un recueil de