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lotze. — sur la formation de la notion d’espace

aptitude ne s’est développée qu’à l’aide d’une série d’expériences, qui, si nous pouvions les reproduire, nous feraient voir comme autant d’objets de la conscience de l’enfant, tous ces intermédiaires devenus imperceptibles pour la conscience de l’homme fait. On pourrait objecter que cette manière de voir serait applicable aux enfants ; mais que plusieurs animaux, comme l’oiseau au sortir de l’œuf, par la promptitude avec laquelle se développe leur faculté de localiser, rendent invraisemblable l’hypothèse d’un si long apprentissage. Pour parler ainsi il faut croire qu’on en sait plus qu’on n’en sait. Il n’est aucunement prouvé que l’oiseau nouvellement né, en dirigeant ses mouvements vers le grain d’où un rayon est venu frapper le milieu de sa rétine, comprend dès ce moment, dans un plan commun du champ de la vision, les images de tous les autres objets qui entourent ce grain ; la maturité précoce que nous attribuons à sa faculté de localiser se réduit peut-être à la sûreté d’un mécanisme d’actions réflexes, qui le force à s’acheminer promptement vers les objets situés dans la direction de son axe de vision.

Revenons maintenant sur nos pas. Nous avons prétendu que les sensations de la peau toutes seules ne suffiraient pas à nous donner l’idée distincte de l’espace, qu’elles provoqueraient cependant en certains cas l’imagination obscure d’une certaine largeur qui ne serait pas sans quelque analogie lointaine avec la notion de l’espace. Comment faut-il l’entendre ? Faut-il dire que la tendance à disposer les sensations dans l’espace est inhérente à la nature de l’âme et ne manque parfois de produire son effet que faute des conditions nécessaires pour la diriger ? Ou bien faut-il croire qu’il appartient seulement à la vue de donner cette forme à une multitude, et que les autres sens ne font que lui emprunter cet arrangement pour l’employer autant que possible à combiner des sensations incapables de s’y soumettre définitivement ? Il serait bien difficile, mais il n’est pas indispensable de se prononcer. Dans tous les cas, comme la vue est le sens dans lequel la tendance localisatrice se manifeste de préférence, on peut rechercher à quelles heureuses conditions elle doit cet avantage.

À cette question s’en ajoute une autre qui mérite aussi d’être examinée. Nous avons trouvé dans la nature purement qualitative des sensations de la peau la raison qui empêche de les considérer comme les termes d’une série à différences appréciables ; mais l’échelle des sons présente ces degrés exactement mesurables, sans que nous puissions pour cela, autrement que d’une manière symbolique, imaginer une véritable ligne suivant laquelle se disposerait cette multitude de termes dont la distinction est si précise. Il faut