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Le deuxième groupe, celui des sensations brutes, prête à la critique, au double point de vue de l’anatomie et de la psychologie. M. Taine en place le siège dans la protubérance. Il s’appuie sur l’autorité de Vulpian dont l’opinion, en ce point, est à peu près rejetée. Entre la moelle et la couche corticale, la plupart des physiologistes admettent bien une région intermédiaire par ses fonctions, mais qui est beaucoup plus étendue que la protubérance seule. Maudsley qui, dans sa Physiology of Mind, admet dans l’encéphale trois sortes de centres correspondant à peu près à ceux de M. Taine[1], considère comme centre sensoriel « toute la substance grise qui existe entre la décussation des pyramides et le plancher des ventricules latéraux » ; ce qui comprend les couches optiques, les corps striés, les tubercules quadrijumeaux, la protubérance, le bulbe et les pédoncules cérébraux. C’est l’opinion la plus généralement adoptée aujourd’hui. — Sans insister sur un point qui regarde surtout les anatomistes, il y a une autre difficulté toute psychologique. Que faut-il entendre au juste par « sensations brutes » ? Ce terme emprunté à la langue médicale a-t-il un sens bien précis ? Sans doute il est naturel d’admettre, entre le pur réflexe et la perception nette et pleinement consciente, un état intermédiaire ; mais en quoi consiste cet état ? Il ne peut nous être connu que de deux manières : directement par la conscience, ou indirectement par l’induction. La conscience ne nous en dit rien. Tout au plus pourrait-on faire rentrer dans cette catégorie les sensations vagues, telles que la faim et la soif, certains états bizarres de la sensibilité générale qui se produisent à l’époque de la puberté, pendant l’incubation delà folie, etc. La conscience étant muette sur les sensations brutes, reste l’induction. On invoque des expériences faites sur des animaux, qui, privés des lobes cérébraux et soumis à certaines sensations, réagissent par des actes complexes ; mais rien n’empêche de considérer ces actes simplement comme des réflexes d’un ordre plus compliqué. L’induction n’autorise pas à aller au-delà. Tout au plus peut-on de la complexité des effets inférer la complexité des causes, en sorte que les centres sensoriels seraient destinés à emmagasiner et à transmettre les matériaux de l’acte de conscience, rien de plus. On arriverait ainsi à conclure qu’il se passe dans les centres sensoriels des phénomènes nerveux analogues à ceux qui se produisent dans les cornes postérieures de la moelle, quoique plus compliqués, mais qu’on ne peut pas appeler d’une manière précise des sensations. — D’ailleurs, ces expériences faites sur des animaux très-différents de l’homme, très-

  1. Il appelle ces centres : idéationnel, sensoriel, réflexe. V. Physiol. of Mind, 3e  édit., ch. III et suivants.