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prenait parfaitement au sérieux cette transformation de l’humanité, qu’il voulait réaliser, en opposant comme un principe supérieur l’humanité, envisagée dans sa perfection idéale, à l’individu qui se perd dans son égoïsme. »

Ce qui fait surtout l’excellence de la doctrine de Fichte, c’est qu’elle unit intimement au sentiment religieux la préoccupation sociale, l’inspiration démocratique. « Le philosophe le plus radical de l’Allemagne est, en même temps, l’homme dont les sentiments et la pensée forment le contraste le plus décidé avec les maximes intéressées de l’économie politique. Ce n’est pas sans raison que Fichte a été le premier qui ait soulevé en Allemagne la question sociale. » Plus que tout autre, il avait la conviction profonde que l’intérêt n’est pas l’unique mobile de l’activité humaine.

Que le christianisme transformé suffise à la tâche que Lange, d’accord avec Fichte, assigne à la religion de l’avenir, ou que l’idée religieuse soit destinée à revêtir une autre forme : « il est certain que la religion de l’avenir devra unir deux choses : une idée morale, capable d’enflammer le monde, et une tentative de régénération sociale, assez énergique pour relever d’une manière sensible le niveau des masses opprimées. »

Cette religion aura son clergé ; mais absolument indépendant de l’État. Par lui se réalisera sans doute la conciliation si désirable de la foi et de la science. Mieux vaudrait pourtant encore, pour l’efficacité de sa mission, qu’il demeurât étranger à la science, que de laisser s’appauvrir en son sein les sources de la vie morale. De même, il serait préférable que la science se renfermât dans les sèches affirmations de son étroit mécanisme, que de mêler d’une façon indiscrète les inspirations divinatrices de la foi avec les rigoureuses méthodes de la démonstration.

L’humanité, quoi qu’il en soit, ne goûtera de paix durable, qu’autant « qu’elle saura découvrir dans la poésie le principe immortel, qui est au fond de la religion, de l’art et de la philosophie ; qu’au tant que sur le fondement d’une telle connaissance reposera l’accord, cette fois définitif, de la science et de la poésie trop long temps divisées. »

Mais Lange prévoit que cette harmonie des puissances de l’âme dans l’individu et dans la société ; que cette conciliation du vrai, du beau et du bien ; que cet accord parfait de l’idéal et de la réalité, de la spéculation et de l’expérience, ne se réaliseront pas sans de profondes secousses, sans un douloureux ébranlement des consciences et des institutions, sans des luttes violentes et peut-être sanglantes.

« Nous ne pouvons nous dissimuler que l’aveugle passion des