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une volonté dans la nature en éliminant la conscience, ne serait, en vérité, qu’une découverte stérile, mais trouver dans la nature une volonté unie à de la conscience, une volonté précisément parce qu’elle est consciente, cela me paraît une découverte digne d’être exposée et soutenue devant le monde. Quelques esprits scientifiques et philosophiques d’une grande distinction ayant brisé tout lien avec la fausse métaphysique des temps passés, semblent actuellement discerner dans la nature une volonté de ce genre ; et je ne vois rien dans les principes psychologiques de M. Lewes qui puisse le détourner d’adopter cette vue décidément panthéiste. Au contraire je crois que la logique l’oblige d’en venir là, après la genèse qu’il a donnée, et donnée avec tant de clarté et de vigueur, de notre idée de cause.

Plus nous pénétrons profondément dans la région des faits appelés physiques, plus nous voyons distinctement que l’expérience ne sait absolument rien des faits purement physiques. Peu à peu, à mesure que nous contemplons d’un œil ferme la marche de la nature, cette vérité se fait jour qu’aucun de ses actes, pas même le plus simple, n’est complètement intelligible à moins d’admettre, au dehors aussi bien qu’au dedans de l’organisme humain, l’hypothèse de la vie réelle de tout mouvement moléculaire. Il est impossible de donner une explication vraie d’aucune des activités de la nature, si l’on écarte l’idée d’une cause agissant au fond de chacune d’elles, et le mot de cause, comme nous le savons, n’a aucun sens si nous entendons par ce mot autre chose qu’une volonté consciente. En tout cas il est manifeste que la science et la philosophie ne pourront jamais s’élever à l’état de religion, avant qu’elles aient envisagé, et envisagé hardiment, ce concept de volonté consciente comme la seule cause réelle dans l’univers. La religion continuera toujours d’être reléguée dans une sphère mystérieuse dont l’accès sera à tout jamais interdit à l’une et à l’autre. Et une religion fondée uniquement sur la terreur et le mystère est, selon toute probabilité, une hideuse construction plutôt qu’un édifice noble et imposant, une sorte de cauchemar personnifié. Mais une religion basée sur l’observation exacte et la coordination rigoureuse des faits recueillis par les facultés intuitives les plus élevées serait une construction en acier ou plutôt — pour changer l’image — elle serait un arbre puissant, vivant, se développant, et destiné à vivre et à se développer toujours, parce qu’il a ses racines dans les grands faits de la nature et qu’il tire sa nourriture du sol et de l’atmosphère, d’une expérience de plus en plus étendue et de plus en plus profonde. Qu’il me soit permis de répéter, en forme de conclusion, que, d’une part, pour réconcilier la science et la philosophie, et d’autre part, pour les élever l’une et l’autre à l’état de la religion, il faut nécessairement admettre : qu’il n’existe dans l’univers aucun fait explicable sans l’intervention d’une cause, et qu’il n’existe aucune cause connue si ce n’est la volonté consciente.

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Arbroath (Écosse).
Alexandre Main.