Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/467

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LA DOULEUR[1]

ÉTUDE DE PSYCHOLOGIE PHYSIOLOGIQUE


La plupart des psychologues ont étudié simultanément le plaisir et la douleur, sans séparer ces deux phénomènes l’un de l’autre, comme si l’état normal se trouvait précisément entre le plaisir et la douleur, dans un certain état d’équilibre intermédiaire à ces deux sentiments extrêmes. Il semble que ce rapprochement n’a aucun avantage, et qu’il ne fait qu’augmenter la difficulté du sujet. En effet, comparer le plaisir et la douleur, c’est déjà presque une hypothèse ; et si elle n’est pas nécessaire, il vaut mieux s’en abstenir. En second lieu, nous nous trouvons bientôt embarrassés pour définir, ou plutôt pour délimiter le plaisir physiologique, tandis que la douleur physiologique est un fait très-défini et assez bien délimité. Voilà un individu à qui, pour ouvrir un abcès, on incise la peau : il éprouve une douleur dont on peut étudier la cause, le but, le moyen, la durée, les périodes, les symptômes, les conséquences : c’est quelque chose de précis et de net ; c’est un phénomène aigu facile à constater, à reproduire, et qui est constant chez tous les individus. Au contraire pour le plaisir proprement dit, tout est obscurité et confusion. Boire un verre de vin, manger du sucre, écouter un accord, sont des plaisirs dont on ne peut guère trouver la cause que dans des raisons peu accessibles aux investigations de la physiologie nerveuse actuellement connue. Je ne doute pas qu’on n’arrive plus tard à mieux comprendre ces phénomènes. Mais au point de vue de la physiologie expérimentale moderne, le plaisir est encore un phénomène incertain, variable et obscur. Il n’y a guère qu’un seul plaisir aigu, et vrai-

  1. Plusieurs des faits que je rapporte ici ont été exposés dans ma thèse inaugurale : Recherches expérimentales et cliniques sur la sensibilité. — Néanmoins, le point de vue auquel je m’étais placé était surtout médical, tandis qu’ici j’ai l’intention d’étudier un fait de physiologie psychologique. De là des différences notables, et dans la forme et dans le fond.