Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/478

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
468
revue philosophique

soit par sa disposition propre, opposerait une grande résistance à l’excitation. Il ne serait ébranlé que par des excitations très-fortes[1].

On ne pourra s’empêcher de remarquer à quel point cette loi de la douleur répondant à une excitation forte, est utile et même nécessaire aux êtres vivants. Il faut que nos organes demeurent dans un certain état ; et tout ce qui peut d’une manière brusque, ou dans une mesure trop forte, détruire cet état fonctionnel, est nuisible à nos organes, et ne tarderait pas à les détruire. Or la douleur se charge de veiller sur nous, et de nous défendre contre nous-mêmes. Quand nous mettons la main sur un corps brûlant, nous sommes immédiatement avertis par la douleur, qu’il y aurait du danger pour notre main, à la laisser en contact avec une matière désorganisant nos tissus. Avant même que nous ayons le temps de songer à tout cela, nous avons déjà retiré notre main. C’est un autre exemple de ces réflexes volontaires que nous citions plus haut. Cette action est tellement rapide, tellement brusque, que la volonté n’y est pour rien. C’est le même cas qu’une grenouille dont la moelle supérieure est coupée, et qui retire sa patte brusquement, si on l’excite un peu fort ?

Mais cet acte réflexe brusque n’aurait pas été suffisant, et la nature y a joint la sensation de douleur, de sorte qu’à chaque état anormal, dangereux pour l’organisme, répond une perception de douleur. En ce sens la douleur est un véritable bienfait. C’est la sentinelle de la vie ; elle nous arrête dans nos excès, et nous châtie sans pitié de nos fautes. Mais que de fois ne dépasse-t-elle pas le but ? Et ne vaudrait-il pas mieux vivre peu de temps à l’abri de toute souffrance que de mener une longue existence empoisonnée par la douleur ?

Certes, nous pouvons nous poser cette question ; mais la nature se soucie peu de notre bonheur ; le seul but, ou, ce qui revient au même, le seul résultat des forces naturelles représentées par les êtres vivants, c’est la plus grande somme de vie possible ; et c’est à ce titre que la fonction douleur, qui veille sur nous, joue un rôle si important. La faim, la soif, la fatigue, le dégoût sont encore des formes de la douleur, et cette douleur est d’autant plus vive que l’animal est plus intelligent : en un mot, il y a entre l’intelligence et la douleur un rapport tellement étroit, que les animaux les plus intelligents sont ceux qui sont capables de souffrir le plus.

  1. Il est inutile d’ajouter que nous n’attachons pas à cette hypothèse plus de valeur qu’elle n’en mérite, tant qu’elle ne sera pas confirmée par des faits expérimentaux. Mais elle explique assez bien la plupart des phénomènes pathologiques qui se manifestent dans les anesthésies de cause centrale.