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Charles richet.la douleur

Le système nerveux encéphalo-rachidien est constitué par deux parties bien distinctes : le système moteur et le système sensitif ; le système moteur est représenté par les cordons antéro-latéraux, les cornes antérieures de la moelle et du bulbe, les lobes cérébraux antérieurs et moyens ; tandis que le système sensitif est représenté par les cordons postérieurs, les cornes postérieures de la moelle, et les lobes occipitaux du cerveau. Or, en anatomie comparée, on voit que plus on s’élève dans la série animale, plus le système sensitif se développe relativement au système moteur, et c’est sur l’homme que le système sensitif a pris la plus grande extension, par rapport au système moteur. Le développement des parties sensibles est corrélatif au développement des forces intellectuelles : et quand le jugement, la mémoire et l’attention sont très-développés, la sensibilité à la douleur est devenue exquise. Il ne faut pas nous en étonner ; la douleur n’existe ni dans l’excitation qui frappe un nerf, ni dans le nerf qui la transmet au cerveau, mais dans le cerveau qui la perçoit : c’est un acte cérébral, quelque chose comme une vibration moléculaire de la substance nerveuse, d’autant plus intense, que cette substance nerveuse sensitive est plus développée et mieux organisée.

Ce qui est vrai pour les espèces est vrai aussi pour les individus. On pourrait presque mesurer l’intelligence d’un individu à sa sensibilité, toute condition pathologique étant mise hors de cause. Il y a deux ans, alors que j’étais interne à la Salpétrière, j’ai fait de nombreuses recherches sur la sensibilité des idiotes, des imbéciles, et des très-vieilles femmes ; toutes pauvres créatures dont l’intelligence débile était presque anéantie. Or, dans tous ces cas, la sensibilité à la douleur était presque nulle, en sorte qu’on aurait pu difficilement décider si elles étaient ou non anesthésiques. De même qu’en supprimant le cerveau d’une grenouille, on supprime à la fois son intelligence et sa sensibilité consciente ; de même, chez les malheureux dont l’intelligence est détruite ou profondément altérée, la sensibilité consciente est aussi détruite et altérée. Donc nous pouvons conclure en disant :

5° La douleur est une fonction intellectuelle d’autant plus parfaite que l’intelligence est plus développée.