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En résumé, nous avons ces deux lois relatives à la douleur :

La douleur est la perception d’un changement d’état brusque et considérable dans les nerfs et les centres nerveux, et cet avertissement est nécessaire aux êtres vivants pour les engager à maintenir leurs organes dans l’état physiologique favorable.

Les excitations sensitives non douloureuses, en accumulant leur action dans les centres nerveux, finissent par devenir douloureuses.

Par suite de cette accumulation d’excitations, la perception douloureuse est en général en retard sur la perception sensitive.

Un autre caractère de la douleur, c’est le retentissement pénible qui la suit, et qui, selon moi, la constitue presque tout entière. Voyez un malade à qui l’on fait une incision. Il crie au moment de l’opération, mais cette opération a duré à peine une seconde, et le malade, au moment où il se plaint, devrait avoir cessé de souffrir. Il n’en est pas ainsi malheureusement. Le patient gémit et se plaint pendant plusieurs minutes de la douleur qu’il a subie. En réalité, il la subit encore. Ses contorsions et ses plaintes prouvent que la douleur persiste, et qu’elle n’a pas cessé avec l’incision, comme on le dit banalement. Qu’il dise, « cela m’a fait mal », rien de plus simple, car il attribue tout au moment de l’incision ; tandis qu’en réalité c’est l’ébranlement nerveux qu’elle a amené qui fait toute la douleur. Supposez qu’une seconde après l’opération, il ne souffre pas de l’incision, et qu’il ne soit pas plus ébranlé que si on lui avait ouvert un abcès depuis six mois, en réalité, il ne serait pas à plaindre, et il ne se plaindrait pas.

Prenons un autre exemple encore plus démonstratif. Une étincelle électrique ne dure guère plus d’un millième de seconde, supposons même un centième de seconde : or, si la bobine d’induction est très-forte, et la source d’électricité très-intense, la douleur produite par cette rapide excitation est atroce. Peut-on dire cependant qu’une douleur qui dure un centième de seconde soit cruelle. En réalité, on souffre bien plus longtemps ; pendant dix minutes on conserve un ébranlement pénible, douloureux, une véritable douleur ; souffrir pendant un centième de seconde, ce n’est pas souffrir ; et pour ma part j’accepterais volontiers de subir une douleur quelque aiguë et intense qu’elle soit, si elle ne devait durer qu’un centième de seconde, et ne laisser, après elle, ni ébranlement ni souvenir.

Ainsi, la douleur est constituée presque uniquement par le souvenir de la douleur, ou plutôt une excitation douloureuse forte ébranle le système nerveux et la conscience, pendant un temps prolongé, bien au-delà de la durée de l’excitation elle-même. Il faut