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séailles.l'esthétique de hartmann

manifestations extérieures, en cherchant ses rapports avec les lois de la nature, avec les lois physiologiques de l’activité nerveuse, avec les lois subjectives de l’esprit, les empiriques ont déduit toutes les conséquences de la vérité, que Kant avait entrevue avec profondeur, mais à laquelle il n’avait pas donné tous ses développements.

M. de Hartmann accepte donc comme parties intégrantes de sa théorie toutes les découvertes sur les conditions physiologiques et psychologiques du sentiment esthétique. La beauté est faite par l’esprit et pour l’esprit ; l’observation doit donc révéler un accord entre leurs lois réciproques. Mais si les prémisses de la science du beau doivent être établies scientifiquement par l’empirisme, ses conclusions, qui en réalité sont des principes, puisque les causes précèdent les lois et en sont la raison, nous ramènent à l’idéalisme. L’inconscient est la suprême intelligence, le beau est sa plus claire manifestation, c’est comme la signature qu’il appose à son œuvre achevée : comment admettre que le beau, œuvre de l’absolu, n’ait qu’une valeur relative ? Platon, et à sa suite la plupart des esthéticiens allemands, ont raison d’affirmer que l’idéal existe, et qu’il préside à toute création artistique. Leur illusion, c’est de croire que cet idéal est fixé une fois pour toutes, c’est de supprimer l’activité de l’esprit créateur, et de l’emprisonner dans une perfection éternellement réalisée. L’idéal n’est jamais arrêté, il est dans un perpétuel mouvement comme l’univers lui-même. Le monde a eu son origine, il a été créé dans une heure de folie ; il aura sa fin, il sera anéanti dans une heure de souveraine sagesse : mais ces deux points extrêmes de sa destinée, sa naissance et sa mort sont séparées par un intervalle immense, qu’un lent progrès permettra seul de parcourir. L’idéal est soumis lui aussi à la loi du progrès : les idées se métamorphosent comme les êtres, les formes du beau se métamorphosent comme les idées. Sans nier la valeur absolue de la beauté, nous nous retrouvons ici en accord avec l’empirisme et avec les faits, sur lesquels il appuie son irréfutable réfutation de l’idéalisme. Mais cette histoire du beau n’est pas plus livrée aux hasards de la fantaisie subjective, que l’histoire des peuples au caprice d’une liberté d’indifférence : l’évolution de l’homme, sous toutes les formes de son activité, est comprise dans l’évolution de l’univers et soumise aux mêmes lois. « Le plus grand mérite de l’école hégélienne, dit M. de Hartmann, c’est sa conception profonde et seule juste de l’histoire comme d’un développement organique[1] ! » En résumé le beau est l’œuvre de l’inconscient, et à ce titre, au moment où il apparaît, il a une valeur

  1. Art. sur l’Hist. de l’Esthétique de l’hégélien Max Schasler.