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ments qui n’existent pas encore. La lutte entre ces divers motifs est suivie d’hésitation jusqu’à ce que les plus forts triomphent.

L’appréciation des motifs se fait par notre caractère, lequel est constitué par des sentiments et des associations de sentiments héréditaires ou acquis. Suivant le caractère de l’individu sur lequel les motifs agissent, ces derniers, bien qu’identiques, peuvent produire des résultats fort différents. Les uns sacrifient tout, jusqu’à l’existence, à l’ambition, à l’honneur, à l’espoir d’une vie future ; motifs qui sont tout à fait sans action sur d’autres. Le savant méprise les lauriers du poète et le poète ne dédaigne pas moins les recherches du savant. La femme dont un geste suffit à troubler le repos d’un individu ne produit aucun effet sur un autre.

Les sentiments et les associations de sentiments qui constituent le caractère jouent dans l’existence des êtres vivants un rôle fondamental. La sensibilité qui règle, comme la physiologie le démontre, le jeu de tous nos organes, règle aussi toutes nos actions. Toute l’activité des êtres vivants dérive de quelque sentiment à éviter ou à satisfaire. Si l’action des objets extérieurs sur nos sens n’avait d’autre résultat que la connaissance de ces objets, c’est-à-dire si l’impression produite par ces derniers ne faisait naître aucun sentiment en nous, si les êtres ignoraient la faim, la crainte et l’amour, aucun motif ne saurait les déterminer à agir, et par suite à vivre. Anéantir le plaisir et la douleur serait immédiatement anéantir la vie à la surface du globe.

C’est donc du caractère, tel que le milieu, l’éducation, le tempérament et l’hérédité surtout l’ont fait, que dépend notre conduite sous l’influence des motifs, c’est-à-dire notre volonté. La raison ne joue sur elle, comme je le montrerai bientôt, qu’un rôle fort restreint ; suivant que l’individu sera énergique ou faible, émotionnable ou non, bon ou méchant, avec une intelligence égale, et en présence de motifs égaux, sa conduite sera tout autre.

Aussi, est-ce bien plus sur le caractère que sur l’intelligence qu’il faut agir, quand nous voulons modifier les penchants et partant la conduite d’un individu. Malheureusement l’éducation a bien peu de puissance pour modifier les sentiments. Ces derniers, s’étant formés par des accumulations héréditaires successives, finissent après un certain nombre de générations, par constituer un état organique que l’individu apporte avec lui en naissant, et sur lequel l’éducation n’a guère plus de prise qu’elle n’en peut avoir sur les formes du corps. L’éducation représente, en effet, une cause agissant pendant un temps infiniment court, tandis que les sentiments que l’individu apporte en venant au monde représentent l’héritage d’un