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de l’idée d’Absolu que lui donnait la conscience, chercher cet absolu au dehors, puis revenir sur lui-même et le trouver au dedans. Dans la doctrine même de Pomponace, on voyait le philosophe affirmer d’abord l’indépendance de la matière et de l’esprit, puis leur connexion, enfin leur identité. — La Scolastique et la Renaissance étaient définies en deux mots : la première a placé l’Être et les raisons de l’Être dans un autre monde ; la seconde les a ramenés dans le nôtre. Pomponace était caractérisé d’un trait : il a expliqué toutes les fonctions de l’âme par le développement de la matière.

Cela était trop simple, trop absolu pour être tout à fait vrai. Dans un article publié lors de l’apparition du livre[1] M. Ferri faisait remarquer que la Renaissance n’a point cette direction unique et uniforme que lui prêtait M. Fiorentino. Tiraboschi la compare à l’Océan, et en réalité elle a, comme l’Océan, ses courants, ses vents opposés, son calme et ses tempêtes. Elle a fait beaucoup pour l’esprit humain : elle a conduit les navires de l’Europe au delà du cap de Bonne-Espérance, découvert l’Amérique, inventé l’imprimerie, prêché et accompli la Réforme ; ses artistes ont rivalisé de chefs-d’œuvre avec la Grèce ; ses érudits ont rendu à l’Occident presque toute la littérature de l’antiquité. Mais à ces traits combien ne pourrait-on pas en opposer d’autres qui seraient d’une tout autre signification ! Elle a achevé l’établissement du pouvoir absolu dans les grandes monarchies européennes, regardé avec indifférence la chute de Constantinople, commencé une terrible réaction contre la libre pensée, brûlé Cecco d’Ascoli, Giordano Bruno, Vanini, et persécuté tous les philosophes indépendants. Comme toutes les époques de rénovation sociale, elle porte dans son sein le mouvement et la résistance, les tendances conservatrices et rétrogrades à côté de l’esprit de progrès et de révolution. Sans doute il sortira de ce chaos une méthode et une science, mais ce n’est pas dans l’ordre d’activité que prétend considérer M. Fiorentino : la Renaissance a fondé la méthode et les sciences physiques, non pas philosophiques. En philosophie, elle a tout remué et n’a rien établi. — Si même nous voulons accorder un instant à M. Fiorentino que le caractère propre de cette période a été de nier toute transcendance et d’admettre la possibilité du développement naturel depuis la matière brute jusqu’à l’esprit, — au moins faudra-t-il reconnaître que cette conclusion n’a point prévalu après elle, et que la philosophie qui est née de la Renaissance, celle de Descartes, de Leibnitz, de Berkeley, a pris une direction précisément contraire à celle qu’on indique. Il

  1. ''Archivio Storico Italiano. Séria terza, T. XV.