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Empirisme. Ou nos représentations concordent absolument avec les choses dont elles sont les images, — sensualisme ou réalisme naïf.

Ou elles ne sont que des images partielles des choses, l’accord ayant lieu pour les relations quantitatives de temps, d’espace et de nombre, mais non pour les relations qualitatives, — empirisme formel.

Ou toutes nos représentations sont, en nature et en relations, absolument différentes des choses, — apriorisme[1].

Rationalisme. La subdivision est toute parallèle et faite d’après les mêmes distinctions ; elle donne dans le même ordre le système de l’harmonie préétablie, le rationalisme formel, et le rationalisme absolu ou nativisme.

Admettons cette classification, malgré les réserves évidentes qu’elle appellerait ; l’auteur lui enlève d’ailleurs lui-même presque toute valeur historique, en admettant dans le criticisme de Kant, qu’il qualifie tantôt de rationalisme formel, tantôt d’idéalisme, des points de vue appartenant les uns à l’apriorisme, les autres même au réalisme naïf. Mais nous devons nous borner à notre sujet.

M. Benno Erdmann déclare qu’on ne peut plus regarder, avec Kant, l’espace comme une forme de réceptivité donnée à priori, sans qu’il y ait à s’enquérir davantage sur les conditions de sa possibilité. Il établit solidement son opinion à cet égard, en particulier contre Liebmann[2] ; il range Riemann et Helmholtz parmi les empiristes formels, mais il montre en même temps que leurs opinions, à cet égard, ne peuvent être considérées comme une conséquence de leurs théories géométriques ; en somme, il se prononce nettement en faveur de l’empirisme tel qu’il l’a défini, mais il prouve en même temps que la nouvelle géométrie n’apporte rien qui puisse faire décider entre les trois systèmes particuliers compris sous cette dénomination générale.

La condamnation du rationalisme repose sur le fait, regardé comme acquis, que l’intuition de l’espace n’est nullement indépendante de l’expérience. S’il est bien établi, comme nous le pensons, que la raison pure ne peut, sans faire appel à l’expérience, prononcer, par exemple, entre le postulatum d’Euclide et l’hypothèse contraire de Lobatchefsky, le rationalisme, qui refuse de faire cet appel, ne peut plus que descendre la pente du scepticisme (phénomène historique bien connu). Il me semble, toutefois, que le système de l’harmonie préétablie échappe au dilemme posé ; car en pratique, on se décidera bien, et le choix pour le postulatum d’Euclide n’est pas douteux aujourd’hui ; cela suffit pour sauver le système, précisément à cause de sa position toute particulière ; car il n’établit pas une distinction essentielle, comme le rationalisme formel, entre les concepts géométriques et les concepts des sciences de la nature, et, d’autre part, il est garanti contre le

  1. Ce terme, qui sonne trop le rationalisme, paraît mal choisi pour désigner cette dernière solution ; autant qu’on en peut juger sous l’apparente neutralité de l’auteur, ce serait au reste celle qu’il préfère.
  2. Voir Revue Philosophique d’octobre 1877, pp. 414 et sqq.