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analyses.grote. A treatise of the moral ideals.

Les idéaux de la philosophie morale impliquent donc la notion d’un doit-être absolu, et c’est par là qu’ils se distinguent des simples conceptions de l’imagination.

Nous n’insisterons pas sur les chapitres que l’auteur consacre à cette partie de la morale à laquelle il donne le nom d’arétique : ils ne nous ont paru contenir rien qui soit véritablement nouveau ; ce qu’on y doit louer surtout, c’est une préoccupation constante de déterminer avec plus de précision qu’on ne le fait d’habitude les notions qu’expriment les mots valeur, morale, devoir, conscience, honneur, justice, etc. Une pénétration toujours ingénieuse, parfois un peu subtile, permet à l’auteur de distinguer les nuances souvent presque insaisissables qui séparent les termes par lesquels on désigne les divers éléments et conditions de la moralité.

Les deux chapitres qui se rapportent à la science du bonheur nous ont semblé particulièrement remarquables. M. Grote croit devoir distinguer l’hédonique ou philosophie du plaisir et de la peine de l’eudémonique, ou science proprement dite du bonheur. La première est subordonnée à la seconde, mais peut néanmoins être traitée séparément.

Il y a, selon {{M.|Grote}, trois sortes de plaisirs et de peines. Ce sont d’abord ceux qui ne sont accompagnés d’aucun trouble, qui ne sont produits par aucune modification appréciable des nerfs sensitifs. Tels sont le sentiment du bien-être (well-feeling), et celui du mal être (discomfort). — Ce sont ensuite les sentiments qui résultent de quelque dérangement dans l’équilibre de l’appareil sensitif : par exemple les jouissances du goût, de l’odorat, etc., et les souffrances corrélatives (enjoyment and suffering) ; ce sont enfin les sentiments qui sont la conséquence du besoin et de la satisfaction qu’il reçoit (feelings of want and satisfaction, desire and gratification). Boire quand on a soif est un plaisir, qui ne se confond pas avec celui de déguster un vin exquis. Ces plaisirs de gratification, qui sont précédés parle sentiment du besoin, impliquent, à la différence des autres, le concours de l’activité.

Les moralistes utilitaires ont souvent tenté d’instituer une hédonométrie, c’est-à-dire une science de mesure comparative entre les différents plaisirs. Platon dans le Protagoras nomme déjà cette arithmétique morale à laquelle Bentham a prétendu donner tous les développements et toute la rigueur qu’elle comporte. M. Grote s’élève avec force contre cette entreprise qu’il déclare absolument chimérique. Veut-on mesurer les plaisirs d’après l’intensité et la durée, comme l’ont fait Paley et Bentham ? Mais le plaisir est, par essence, une fonction du caractère individuel, de la sensibilité infiniment variable de chacun. Tel plaisir, intense pour une organisation délicate, ne fera qu’effleurer une sensibilité plus grossière. Durable pour celui-ci, il passera comme un éclair pour celui-là. De plus, l’expérience, à cet égard, ne nous sert de rien pour l’avenir. Une sensation a été agréable