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L’ESTHÉTIQUE DE HARTMANN

(DEUXIÈME ET DERNIER ARTICLE[1])




II


Après avoir exposé les idées théoriques de M. de Hartmann, avec toute la précisons que permettaient d’apporter dans cette étude les documents que nous possédons jusqu’ici, nous résumerons ses ingénieux essais sur le drame, sur la tragédie, sur Faust, sur Roméo et Juliette. Si l’auteur rend parfois des jugements contestables, dont il est permis d’appeler, il fait preuve le plus souvent d’un goût délicat et sûr, et mérite toute reconnaissance pour avoir montré que même chez un philosophe allemand le charme du style ne peut qu’ajouter à la force de la pensée.

Esthétique du drame. — Ce qui importe avant tout dans le drame, c’est le sujet. Pour s’en convaincre qu’on songe aux grands musiciens dont aucun n’a composé sur une matière contraire à sa pensée intime. Gluck aime la belle et simple grandeur de la Renaissance ; dans le choix de ses sujets Mozart laisse paraître « sa naïveté enfantine et sans critique (seine kritiklose kindliche Unschuld), qui dans l’infinité bénie de son génie suce le miel de chaque fleur ; » Wagner s’attache aux légendes allemandes et à leur lyrisme mystique ; Verdi ne se sent chez lui que dans l’horrible et demande des sujets à Victor Hugo ; Meyerbeer ne trouve aucun moyen mauvais, pourvu qu’il éblouisse et qu’il compose une mosaïque des effets les moins motivés ; Aubert ne veut « que la grâce badine des salons (die tandelnde Grasie des salons), avec une intrigue au lieu d’un conflit. » Il est évident que l’importance du sujet est plus grande encore dans le drame que dans la musique ; cherchons donc quelles sont les conditions auxquelles il doit satisfaire.

Le sujet doit d’abord être poétique. Il faut rejeter les chroniques historiques qui n’ont ni l’unité épique d’une action en commun

  1. Voir la Revue philosophique du 1er novembre.