Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/584

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
574
revue philosophique

(des Faustichen Problems). Affranchi de toute illusion de bonheur personnel, poussé par son besoin d’agir, il agit non pour lui mais pour les autres, réalisant ainsi son dessein « de prolonger son être par « l’être de l’humanité. » Peut-il atteindre une fin en agissant ? Il n’y songe pas, il le suppose instinctivement. Méphistophélès soutient que tout va vers le néant, et il se réjouit à l’idée de ce vide éternel. Peut-être ont-ils tous deux raison ? Méphistophélès voit la seule fin possible, Faust le seul moyen d’y parvenir.

De cette étude nous acceptons tous les détails de l’analyse, où se montrent une fois de plus la finesse et la profondeur de l’auteur ; mais sur la conclusion cette fois encore nous nous séparons de lui. Faust n’est pas plus un prédécesseur de Schopenhauer que Gœthe n’est un bouddhiste. Le bonheur est possible : il consiste à se convaincre de son indépendance par l’effort triomphant, de sa supériorité sur la nature par la domination des forces physique ; à prendre une conscience plus nette de sa liberté par le désintéressement. Ce n’est pas le moi qu’il faut sacrifier, c’est tout ce qui lui est extérieur et inférieur : les jouissances égoïstes, les désirs artificiels, les ambitions malsaines, les passions démesurées. La vie est si loin d’être un mal que nous devons multiplier notre existence par celle de tous ceux que nous aimons. Mais à quoi bon cette lutte en commun ? à quoi bon ce mutuel amour ? Toute cette activité est-elle autre chose qu’une agitation ! Il nous semble que Gœthe a répondu clarement à ces questions par le salut de Faust et par l’hésitation du démon lui-même en face de la beauté des anges.

Ces études sur l’esthétique achèvent de faire connaître le talent de M. Hartmann, si populaire en Allemagne : elles le montrent avec ses qualités de clarté, de finesse et de profondeur, mais aussi elles confirment le jugement que suggère la lecture de la philosophie de l’inconscient : les conclusions semblent faites pour les prémisses, plutôt que les prémisses pour les conclusions.

G. Séailles.