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REGNAUD. — ÉTUDES DE PHILOSOPHIE INDIENNE

l’objet, le percevant et le perçu, ne saurait exercer les fonctions réfléchies du sens interne qui reposent sur la séparation de ces différents modes. C’est ce que la Brihad-Âranyaka Upanishad II. 4, 14, établit dans les termes suivants :

« Là où il y a comme dualité (c’est-à-dire sujet et objet) l’un voit l’autre, l’un sent l’autre, l’un entend l’autre, l’un parle à l’autre, l’un pense l’autre, l’un connaît l’autre. Mais celui pour lequel tout n’est que lui-même (l’âtman, le moi général) comment pourrait-il sentir quoi que ce soit ? Comment pourrait-il voir quoi que ce soit ? Comment pourrait-il entendre quoi que ce soit ? Comment pourrait-il parler à qui que ce soit ? Comment pourrait-il connaître qui que ce soit ? Comment connaître celui par lequel on connaît tout ? Comment connaître celui qui est l’être même qui connaît[1] ? »

Sous sa forme idéale et abstraite, l’être gouverne, du reste, l’univers matériel qui est émané de lui, comme nous le verrons en son lieu. La même Upanishad l’atteste dans le passage suivant, III. 8. 9 :

« C’est sous l’empire de l’impérissable (Brahma ou l’être), ô Gârgî, que le soleil et la lune gardent leurs lois distinctes ; c’est sous l’empire de l’impérissable, ô Gârgî, que le ciel et la terre gardent leurs lois distinctes ; c’est sous l’empire de l’impérissable, ô Gârgî, que les minutes, les heures, les jours et les nuits, les quinzaines, les mois, les saisons et les années gardent leurs lois distinctes ; c’est sous l’empire de l’impérissable, ô Gârgî, que les rivières coulent des montagnes blanches (de neige) les unes à l’orient, les autres à l’occident, (chacune d’elles) suivant sa direction ; c’est sous l’empire de l’impérissable, ô Gârgî, que les hommes louent ceux qui sont libéraux, que les dieux s’attachent au sacrifiant et les pitris (les âmes des ancêtres) à la cuillère (qui contient l’oblation)[2]. »

À l’époque de la composition des premières Upanishads, on se bornait à constater les rapports de la cause et de l’effet, du sujet et de l’objet, ou, si l’on veut, de l’idéal et du réel. Plus tard, comme nous le verrons au chapitre suivant, on voulut les expliquer par l’antinomie de l’être et du non-être ; mais dans les textes dont nous nous occupons en ce moment, la distinction métaphysique à établir

  1. Le texte est cité dans notre article précédent. Voir Revue philos., n° d’août 1876, page 176.
  2. Etasya va aksharasya praçâsane gârgî sûryàcandramasau vidhrtau tishth ata etasya va aksharasya praçâsane gârgî dyàvâprthivyau vidhrte tishthatah etasya va aksharasya praçâsane gârgi nimeshà muhûrtà ahoràtrâny ardhamâsâ mâsâ rtavah samvatsarâ iti vidhrtâs tishthanty etasya vâ aksharasya praçâsane gârgî prâcyo’ nyâ nadyah syandante çvetebhyah parvatebhyah pratîcyo’ nyâ yâmm ca diçam anveti etasya va aksharasya praçâsane gârgî dadato manushyâh praçamsanti yajamânam devà darvîm pitaro’ nvàyattâh.