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Il n’est aucun nombre au delà duquel on n’en puisse concevoir encore de plus grand. Il résulte de cette seule proposition qu’il n’y a pas de nombre infini, que le nombre abstrait est indéfini, mais que le nombre concret étant de sa nature essentiellement déterminé, est aussi essentiellement fini.

Insistons sur ce point capital : le nombre de changements ou de manières d’être dont un objet quelconque est le siège, ne peut être qu’infini, indéfini ou fini ; infini, c’est impossible, il n’y a pas de nombre infini ; indéfini, c’est encore impossible : il y a tel nombre déterminé de changements, et non pas tel autre nombre. Reste donc qu’il soit fini.

Il suit de là que ce qu’on appelle la durée n’a pas toujours existé et n’existera pas toujours, que les changements ont nécessairement commencé et doivent aussi nécessairement cesser d’être. (Je parle ici des changements successifs, de ceux qui tombent sous la loi du nombre.)

Mais l’être lui-même a-t-il commencé et doit-il cesser d’exister ? Ou plutôt, y a-t-il eu un moment avant lequel il n’y avait rien ; y aura-t-il un moment après lequel il n’y aura rien ? Une pareille supposition serait contradictoire ; penser qu’un être quelconque a pu sortir du néant, ou mieux encore que, n’étant rien d’abord, il a pu se donner à lui-même l’existence, c’est admettre l’absurdité la plus révoltante qui se puisse imaginer. S’il y a quelque chose, il faut aussi qu’il y ait quelque chose d’éternel. Outre la durée, il y a donc l’éternité, et l’éternité se distingue surtout de la durée en ce que cette dernière est successive, tandis que la première est continue.

Ne nous arrêtons pas à des considérations ontologiques qui ne peuvent ici prendre place. Hâtons-nous plutôt de tirer les principales conséquences qui se déduisent de nos principes.

L’une des premières questions qui ont dû se poser naturellement à l’esprit du lecteur, est celle de savoir s’il n’y a qu’un être ou s’il y a plusieurs êtres. Or, rien de plus facile que de résoudre cette question, si l’on a égard au changement. Il est certain, en effet, qu’un être ne peut changer par lui-même, qu’il ne peut être lui-même la cause de ses propres modifications. Si toutefois cette proposition n’est pas évidente au premier abord, nous pouvons l’établir de la manière suivante :

La définition d’un être quelconque contient l’affirmation de l’essence même de cet être, en d’autres termes, il pose son essence, qui doit être parfaitement déterminée, et non pas telle autre essence. Donc, tant que l’on considérera cet être, abstraction faite de toute cause et de toute condition extérieures, on ne pourra