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béraud.le moi comme principe de la philosophie

des êtres qui le composent a éprouvé des changements dans sa propre substance ; car de pareils changements sont, ou le comprend, toujours successifs, par conséquent tombent sous la loi du nombre et de la durée. Mais nous avons réservé la question de savoir si, avant ces changements successifs, il n’y aurait eu un autre changement, indépendant de la substance et des qualités des êtres, en d’autres termes un pur changement de rapports qui, jusqu’à ce moment déterminé, serait toujours resté continu.

Ce qui doit nous faire penser à un pareil changement, c’est que si primitivement les êtres fussent restés toujours les mêmes, non-seulement dans leurs substances, mais aussi dans leurs rapports, il n’y aurait jamais eu de raison pour qu’il se fût produit des changements à partir d’un instant quelconque. Ici le fameux axiome : tout ce qui commence a une cause, se trouverait en défaut. Que si l’on avait recours à une cause supérieure et extérieure au monde pour expliquer ce phénomène, nous demanderons pourquoi cette cause aurait agi, et par conséquent aurait changé à son tour à tel instant déterminé, et non pas auparavant. La difficulté serait donc toujours la même.

Ce qui résulte clairement de tout ce qui précède c’est que, avant l’origine de ce que nous appelons notre monde, les êtres se préparaient, pour ainsi dire, à agir les uns sur les autres, à se modifier les uns les autres, et cette préparation ne pouvait être qu’un changement continu de rapports.

Mais en quoi consiste donc un pareil changement ? Ce ne peut être un changement de rapports selon les diverses substances jusqu’ici considérées ; car des changements de cette nature sont toujours successifs, jamais continus. Il suffit pour s’en convaincre de remarquer que les propriétés transmissibles de ces substances (propriétés selon lesquelles elles peuvent changer) sont essentiellement finies, que leur ensemble même est fini ; que, par conséquent, les changements dont ces mêmes substances sont le siège doivent forcément éprouver des temps d’arrêt, des interruptions.

C’est donc un changement de rapports selon une substance toute différente des précédentes, et cette substance doit être la condition de tous les changements, sans en être la cause, exempte elle-même de tout changement, sans quoi nous retomberions dans toutes les difficultés déjà signalées. Or une pareille substance n’est autre que l’espace.

Supposez, en effet, que l’espace n’existe pas, et alors les êtres toujours contigus, toujours dans les mêmes rapports les uns à l’égard des autres, resteront éternellement dans la même impossibilité