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ANALYSES. — naville.Julien l’apostat et sa Philosophie.

adversaires du christianisme et qui était rare chez les chrétiens eux-mêmes. Si après avoir nié les dieux, il essaya de faire refleurir leur culte, c’est qu’une fois arrivé à l’âge d’homme et grâce aux leçons des théurges, il finit par se persuader que le polythéisme, sainement interprété, était plus conforme à la raison que le monothéisme. Il ne paraît pas douteux que Maxime et ses amis n’aient d’abord agi sur lui par l’attrait du merveilleux, en confirmant par leurs oracles les prophéties populaires qui déjà lui promettaient l’empire, et en lui enseignant à se mettre en communication avec les puissances célestes. Julien, qui voulait tout lire et tout savoir, était trop curieux, trop hardi, trop enthousiaste, pour ne pas chercher avec avidité à connaître le secret des mystères, et Maxime, qui devait être condamné à mort comme magicien, était trop thaumaturge pour n’avoir pas essayé de séduire son disciple par toutes sortes de prodiges. Mais malgré certaines tendances mystiques qui devaient naturellement porter le jeune prince aux contemplations extatiques si chères aux néo-platoniciens, nous croyons avec M. Naville, que l’amour des mystères et la recherche du commerce avec les dieux n’ont jamais étouffé en lui les goûts et les besoins rationnels et que l’agent principal de la transformation de ses croyances a été la philosophie.


Résumons brièvement les principales doctrines sur lesquelles il a le plus insisté dans ses écrits. On sait qu’il appartient à l’école néo-platonicienne. Comme les Alexandrins, il est pour le système de l’émanation et comme eux il est obligé de multiplier les intermédiaires entre l’unité absolue et le monde sensible. D’après cette philosophie, l’âme ou du moins ce qu’il y a de plus élevé dans l’âme est un principe divin : le dieu qui est en nous c’est l’intelligence, bien mieux, quelque chose de supérieur à l’intelligence, c’est une parcelle de l’Un et du Bien lui-même. Emprisonnée ici-bas dans un corps matériel, l’âme doit tendre à reconquérir sa liberté par la vertu, par la science, enfin par la contemplation impassible du Dieu suprême, par laquelle l’homme lui-même devient Dieu. Aux moyens qu’offre la raison pour obtenir cet état de béatitude, il faut joindre les pratiques religieuses, les cérémonies mystiques qui nous plongent dans le délire dionysiaque : c’est ainsi que la philosophie se couronne par la théurgie qui à son tour sert de confirmation à la philosophie. Julien trouve ainsi le moyen de concilier ses penchants mystiques avec ses tendances scientifiques et en même temps il rencontre dans cette doctrine un premier argument contre les chrétiens qui, en niant la préexistence des âmes, les rabaissent au rang de simples créatures et leur enlèvent leur essence divine.

Si des individus nous nous élevons aux sociétés, la doctrine de l’émanation est encore celle qui paraît le mieux expliquer à Julien la diversité et la fixité des caractères nationaux. Pourquoi les peuples diffèrent-ils les uns des autres ? C’est que chacun a sa nature propre qui n’est que bien faiblement modifiée par les institutions et les lois. Mais