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pourquoi ces natures différentes ? C’est que chaque nation est véritablement un genre, une idée au sens platonicien du mot ; c’est qu’elle est gouvernée par un type persistant, par un Dieu ethnarque, qui est l’âme vivante de la communauté tout entière, qui lui donne et qui lui conserve son caractère, ses mœurs, ses institutions. Chaque peuple étant la réalisation d’un type intelligible, immuable, doit observer avec soin les lois nationales qui ont été établies dès l’origine et que nous ont transmises nos pères. Ainsi, national et traditionnel sont pour Julien deux idées identiques, et d’après sa conception des dieux ethnarques, le polythéisme lui paraît être le plus ferme appui de l’esprit conservateur. On ne s’étonnera donc pas que malgré son dédain pour les Juifs il ait conçu le projet de reconstruire Jérusalem et de restaurer le temple, tandis qu’il ne voit dans les Galiléens que des novateurs en révolte contre leurs autorités légitimes, des fauteurs de troubles et de discordes, en un mot, les principaux auteurs de la décadence de l’empire.

De même que l’âme est pour l’homme et le Dieu ethnarque pour chaque nation un principe d’unité, de même et conséquemment l’harmonie de l’univers tout entier dépend du Roi Soleil. C’est à cette divinité, que Julien appelle son père et à laquelle il croit devoir une reconnaissance toute spéciale, qu’il a voué le culte le plus ardent. C’est elle, vraisemblablement, qu’il voulait opposer au Verbe-Fils des chrétiens. Le Roi Soleil n’est pas, à proprement parler, l’astre bienfaisant qui nous communique sa chaleur et sa lumière : au-dessus du monde visible, il y a le monde intelligent et au-delà encore l’unité absolue ou le principe des principes et la cause des causes, c’est-à-dire le monde intelligible. Le monde intelligent, image du monde intelligible, et type du monde sensible, intermédiaire nécessaire entre l’un et l’autre, tient du Roi Soleil son unité, sa beauté. C’est ce Dieu qui transmet à tous les autres dieux secondaires l’essence que seul il tient directement du bien suprême. « C’est lui, dit Julien, qui contient la cause inengendrée des êtres qui naissent, et, avant elle, la cause toujours jeune et permanente de la vie des corps éternels… C’est lui qui fait arriver à l’existence avec lui l’essence des anges solaires. » Ainsi, la philosophie, ou plutôt la théologie de Julien, se ramène à une conception trinitaire d’après laquelle il existerait trois mondes superposés auxquels correspondraient en quelque sorte autant de soleils : mais c’est le soleil intelligent, le médiateur, qui, tout à la fois plus rapproché de nous et plus accessible aux foules et même aux philosophes que le Dieu suprême, lui paraît mériter l’adoration de tous les peuples et être le plus propre à réunir l’humanité tout entière dans un culte commun, dans une religion « catholique ».

Mais comment concilier cette métaphysique subtile et profonde avec le polythéisme naïf et riant, avec les fables c incroyables et monstrueuses » des anciens poètes de la Grèce ? Ce n’est pas là une difficulté pour Julien. Grâce à la méthode d’interprétation allégorique qui régnait chez les Alexandrins aussi bien que chez les Pères de l’Église, il finit