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ANALYSES. — naville.Julien l’apostat et sa Philosophie.

toujours par trouver dans les récits fabuleux quelque sens moral qui s’accorde avec ses doctrines. « Plus une allégorie est incroyable, dit-il, plus elle semble nous engager à ne pas nous en tenir aux choses qui y sont racontées, mais à chercher le sens secret caché sous le récit. » Par exemple, le mythe de Cybèle et d’Attis n’est pour lui qu’une allégorie de la succession des saisons. Bien mieux, il veut prouver que pour Homère et Hésiode le soleil était le Dieu principal, et cela parce que Hésiode fait naître le soleil d’Hyperion et de Théia, c’est-à-dire de l’être le plus élevé et l’être le plus divin ; parce que Homère, de son côté, rapporte qu’Apollon, ayant voulu quitter l’Olympe à cause de l’impiété des compagnons d’Ulysse, Zeus, au lieu de le menacer, lui promet de punir les coupables et le prie de rester parmi les dieux. D’ailleurs Apollon lui-même n’a-t-il pas dit dans un vers orphique : « il n’y a qu’un Zeus, qu’un Hadès, qu’un soleil, c’est Sarapis ? » Donc, Zeus et le soleil ne se distinguent pas, et tout ce qui est dit de l’un peut s’appliquer à l’autre.

Une fois entré dans cette voie, Julien en arriva bientôt à se persuader très-sincèrement de l’unité de la civilisation hellénique. À ses yeux, toutes les divinités de l’Asie Mineure, de la Syrie, de l’Égypte, ne sont que les anciens dieux de la Grèce désignés seulement par d’autres noms. Ainsi la mythologie est foncièrement une, et c’est l’hellénisme qui fait son unité. Une également est la philosophie, c Qu’on étudie tous les chefs d’école, et l’on trouvera qu’ils sont tous d’accord. Pourquoi donc, au mépris des faits, séparerions-nous des hommes qui ont été unis dans l’amour de la vérité, le dédain de l’opinion, la recherche de la vertu ? » Il ne faut exclure du chœur des sages que les épicuriens et les pyrrhonistes : quant à Pythagore, Socrate, Platon, Aristote et Zenon, ils n’ont réellement qu’une seule doctrine, et cette doctrine s’accorde avec le polythéisme. La philosophie et la religion sont sœurs, elles ne sont que deux révélations de la même vérité qui est une de sa nature. » Elles nous conduisent par deux chemins distincts au culte des mêmes dieux et à la pratique des mêmes vertus. Il est si facile d’admettre ce que l’on veut croire que Julien va jusqu’à transformer en fidèles adorateurs des dieux nationaux Socrate et Diogène, et qu’il se représente l’ancienne Grèce, dit M. Naville, « comme un État où les philosophes étaient d’accord avec les théologiens, où les magistrats mettaient l’observation des lois et le bien des citoyens au-dessus de leur propre intérêt, où les peuples pratiquaient la vertu mus par un amour commun de la sagesse et un commun respect pour les dieux. » Tel est l’idéal que par une erreur d’optique qui n’est que trop commune, il croyait avoir été réalisé dans le passé et qu’il voulait faire revivre dans les mœurs et dans les institutions. Ce généreux conservateur ne voyait pas qu’il était le plus progressiste, sinon le plus utopiste des hommes de son temps.

Avec cette admiration enthousiaste pour la Grèce, pour son génie artistique et littéraire, pour sa philosophie et enfin pour ses dieux, sym-