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On reconnaît, dans certains faits de conscience tels que l’attribution des actes, la responsabilité, le mérite et le démérite, la satisfaction morale et le repentir, des preuves indirectes de la liberté ; quelle valeur faut-il leur accorder ? Schopenhauer, d’accord avec Kant, appuie sa théorie de la liberté intelligible sur le sentiment de la responsabilité. « Il reste vrai, dit-il, que nos actions sont accompagnées de la conscience qu’elles ont en nous leur source et leur origine, en un mot, qu’elles sont notre œuvre. Chacun, avec une conviction invincible, se regarde comme l’auteur de ses actes, et se sent moralement responsable. » Tous les arguments de ce genre reposent sur une confusion de la liberté, que nous avons définie l’absence de toute contrainte, et de la capacité de choisir entre diverses actions possibles. On passe du domaine purement subjectif et intérieur du vouloir au domaine objectif de l’action. On se préoccupe moins de ce que l’homme peut faire que de ce qu’il doit faire, de la liberté proprement dite que de l’affranchissement des passions, des désirs et de toutes les influences contraires à la moralité. Au lieu de résoudre le problème théoriquement, les déterministes, comme leurs adversaires, négligent la science et s’inquiètent surtout des applications pratiques. Nous ne pouvons pas accorder plus de valeur à ces preuves indirectes qu’à l’intuition par la conscience. Il est faux que tout homme s’attribue tous ses actes, faux aussi qu’on ne rende responsables les outres que des actions qu’ils ont accomplies librement. Aristote remarquait déjà que la plupart du temps on s’attribue les bonnes actions et qu’on rejette les fautes sur les circonstances ou sur le hasard, mais qu’en jugeant les autres on fait tout le contraire. La conscience naïve distribue les responsabilités d’une manière que la réflexion ne peut accepter. Le vulgaire ne rend-il pas les animaux nuisibles responsables du mal qu’ils font ? ne fait-il pas de la souffrance même le châtiment d’une faute ? Ne donne-t-il pas de continuels démentis à la sage pensée du poète romain :

Genus et proavos et quæ non fecimus ipsi,
Vix ea nostra puto.

Recherche psychologique sur la liberté et l’entendement, la conscience et la conscience de soi-même et sur leurs rapports réciproques. — Les psychologues, le plus souvent, ne reconnaissent pas de volonté inconsciente ; pour eux, volonté et conscience sont inséparablement unies, cependant la volonté n’est pas directement perçue, elle est l’objet d’une connaissance indirecte. Un enfant, qu’on abandonnerait à son destin, aurait conscience de souffrir, mais il ne soupçonnerait pas le rapport de cette souffrance au besoin et au désir de se nourrir. C’est seulement après avoir satisfait plusieurs fois avec une aide étrangère son besoin, qu’il apprend à conclure du sentiment au penchant. Le penchant peut donc être présent sans être connu du sujet. Nous en