Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/659

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
649
ANALYSES. — flügel.Die Probleme der Philosophie.

noménal est-elle plus obscure encore : il le reconnaît d’une façon détournée, et dit que le moi absolu est une réalité donnée, inaccessible à l’intelligence, mystérieuse dans son action. — Schelling va plus loin dans le même sens : il place au-dessus de la nature entière un Noumène universel, l’Absolu, qui produit tout le monde sensible : mais cette production, il l’avoue, ne va pas sans une sorte de rupture, de destruction de l’Absolu lui-même, et cette opération est inintelligible, nécessairement. Enfin Hegel met au jour le secret du système, quand, au mépris de la logique de tout le monde, il fait de la contradiction le ressort même du devenir. — Ainsi la première hypothèse du trilemme est écartée.

La deuxième résiste moins encore à l’examen. Une cause de changement qualitatif, intérieure à l’être qui subit le changement, ne peut être qu’une détermination qualitative antérieure de ce même être ; celle-ci devra avoir sa cause dans une précédente ; et la régression va à l’infini. C’est dire que le changement est sans cause : et nous retombons dans la 1re  hypothèse ; ou bien c’est dire qu’il y a une première cause, un premier changement (M. Flügel préfère cette interprétation qui n’implique pas l’existence d’un nombre infini, et pourtant réalisé, de moments écoulés) : et c’est de ce changement premier qu’il faudra rendre raison.

Reste la troisième hypothèse. Elle a été essayée par Descartes, reprise par Leibniz. Mais Herbart seul a su en tirer parti.

Descartes montre bien que l’action d’un être sur un autre, l’influx physique, tel qu’on l’a conçu jusqu’à lui, n’offre rien de clair à l’esprit. Il s’attache au cas particulier de l’union entre l’âme et le corps. L’âme, dit-il, est simple ; le corps, étendu, donc multiple. S’il y avait action de l’un sur l’autre, il faudrait que quelque chose se détachât de l’un et vint s’incorporer à l’autre. Mais d’abord l’âme, étant simple, ne peut souffrir ni addition ni déperdition ; de plus, entre deux natures absolument contraires, l’abîme est infranchissable. Descartes conclut donc à l’intervention de Dieu, et crée l’occasionalisme. Leibniz de même rejette l’influx physique, pour des raisons nouvelles. Les monades étant toutes simples ne peuvent souffrir ni perte ni gain, ne se prêtent à aucune communication de leur substance. D’ailleurs les qualités des êtres ne sont pas comme des vêtements, qui passeraient de l’un à l’autre, ou des esprits follets qui voltigeraient entre eux, se posant ça et là. Leibniz en conséquence se rejette sur l’harmonie préétablie. — Or, si Descartes et Leibniz ont dû nier l’action directe des substances l’une sur l’autre, c’est qu’ils ont voulu se la figurer sous des espèces sensibles. Ils ont oublié que tout changement réel est qualitatif. C’est de là que part Herbart :

Les êtres élémentaires, dit-il, sont pourvus de qualités très-nombreuses, quoique non pas en nombre infini (M. Flügel n’admet pas un nombre infini, à la fois totalisé et illimité) ; c’est ce que prouve la variété prodigieuse des phénomènes. C’est une conception grossière, que celle d’Empédocle, qui se contentait des quatre éléments : Anaxagore,