Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, IV.djvu/70

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tome est d’être mû par son propre poids, l’atome, en échappant ainsi à une cause extérieure, échappe à la nécessité ; mais Lucrèce répond en distinguant deux sortes de nécessité également à craindre, l’une extérieure, externa vis, l’autre intérieure, necessum intestinum. Parce que la pesanteur est naturelle (gravitas naturalis), en est-elle moins nécessaire (necessaria) ? Et si la nécessité règle seule les mouvements de l’atome, pourquoi ceux de nos âmes y échapperaient-ils ? D’où vient cette nouvelle nature de mouvement qui, selon les expressions de Carnéade, « serait en notre puissance et n’obéirait qu’à nous ? » Nos âmes ne sont-elles pas composées des mêmes éléments que le reste de l’univers et peuvent-elles faire exception à la loi commune ? Dans ce débat, c’est Épicure, semble-t-il, qui se montre le plus logique. Au moins est-il intéressant de voir par ce passage combien l’idée de liberté a préoccupé les Épicuriens, et avec eux l’antiquité.

II. — Une nouvelle question se pose. Il semble impossible de contester que, le premier dans l’antiquité, Épicure a tenté d’introduire la contingence au sein de la nature, d’expliquer par des mouvements spontanés la formation du monde et de’légitimer ainsi l’existence de la liberté humaine. Mais on croit d’ordinaire que la contingence, placée par Épicure à l’origine des choses, existait selon lui à l’origine seulement et disparaissait ensuite pour laisser de nouveau place à la nécessité. Une fois le monde fait, une fois la machine construite, pourquoi n’irait-elle pas toute seule sans qu’il soit besoin d’invoquer désormais aucune autre force que la nécessité ? La « chaîne du destin » dont parle Lucrèce a été rompue une fois, comme on l’a dit, « par un coup du sort ; » cela peut suffire ; depuis, ne s’est-elle pas reformée anneau par anneau, et de nouveau n’enserre-t-elle pas l’univers ? Selon cette hypothèse, Épicure n’aurait introduit la « déclinaison » dans la nature que par une sorte d’expédient dialectique, et se serait empressé de l’en retirer aussitôt.

Pour confirmer cette hypothèse du déterminisme succédant à la contingence dans l’univers, on invoque un passage où Lucrèce, voulant combattre l’idée de création divine, soutient que nul être ne peut sortir tout fait du néant, qu’il a besoin pour naître d’un germe préexistant et de conditions déterminées (certis) [1] Ainsi, dit Lucrèce, la rosé ne sort pas tout à coup du néant, les moissons n’apparaissent pas soudain jaunissantes à la surface de la terre, l’enfant n’est pas homme en un jour. Rien ne vient de rien, et tous les êtres provien-

  1. Lucr., I, 470.