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OBSERVATIONS ET DOCUMENTS


LA CONSCIENCE DU MOI


Un de mes malades, homme de 68 ans, fut atteint pendant la période de cicatrisation d’un anthrax d’un état fébrile rémittent, où apparurent des phénomènes psycho-physiologiques d’un grand intérêt. Il éprouvait des hallucinations de la vue, avait de l’insomnie et une grande surexcitation cérébrale ; il criait, chantait, se mettait en une violente colère pour le plus léger prétexte, ayant alors, me disait sa femme, des yeux effrayants, se plaignant en outre de douleurs rachidiennes et intercostales, et disant parfois qu’il avait des troupiers qui appuyaient sur sa poitrine. — Un matin je le trouve très-étonné, cherchant en vain à se rendre compte comment il avait passé deux nuits de suite : dans sa pensée un jour s’était écoulé sans qu’il en eût eu conscience ; longtemps après il revenait encore sur ce phénomène qui l’avait fort surpris. — Un autre jour il ne se croyait plus chez lui : où sommes-nous donc, disait-il ? Sous quel gouvernement vivons-nous ? Nous ne sommes donc plus en France ? Il se croyait en Chine. Bien mieux il croyait qu’il n’était plus lui : ce n’est pas moi qui suis ici, disait-il ; ce n’est pas possible, ce n’est pas moi :. je vois tout le monde entrer et sortir comme, dans une fantasmagorie. Il dit plus tard qu’il se croyait transformé.en Chinois ; ou encore qu’il croyait être un autre, qu’il croyait être dans le corps d’un autre. — Avec cela il s’attendrissait facilement, pleurant pour un rien comme pour un rien il se mettait en colère.

Cette observation me paraît intéressante au point de vue psychologique. Elle mérite d’être analysée dans son phénomène caractéristique qui est la croyance à la transformation du moi. Il s’agit de constater : — 1° Si ce malade avait conservé la conscience du moi ordinaire ou à localisation cérébrale, — 2° si l’autre dans lequel il se croyait transformé s’ajoutait à son moi ou le remplaçait, — 3° si l’autre était donné comme un phénomène de conscience identique au moi ordinaire dans