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galicier.la conscience du moi

sa formation psychologique ou comme simple idée, pure croyance. Si l’observation des faits conduit à cette dernière conclusion, il ne restera plus qu’à expliquer le mode de ce phénomène intellectuel. Cette analyse devant être la reproduction exacte des phénomènes observés, mon unique soin est de me tenir en garde contre toute idée préconçue dans le sens d’une doctrine ou d’une autre. L’observation reposait sur l’interrogation du malade : on n’ignore pas combien il est difficile, sur de pareilles questions, d’obtenir des réponses précises de la part d’individus qui ne sont pas accoutumés aux analyses psychologiques ; je crois être arrivé cependant à un résultat satisfaisant. Ma première question fut celle-ci : pendant que vous aviez l’idée d’être un autre, n’aviez-vous plus la conscience d’être vous-même ? ne saviez-vous plus être vous, le vous d’autrefois ou d’avant, lorsque vous disiez « non, ce n’est pas moi qui suis ici » ? Il répondit : Je savais bien qu’au fond c’était toujours moi, mais je croyais être dans le corps d’un autre, j’avais l’idée que j’étais un autre. — Le premier problème est résolu : ce malade avait conservé la conscience du moi, du moi ordinaire ou à localisation cérébrale. Le second problème est du même coup résolu : l’autre ne détruisait pas le moi, ne le remplaçait pas, il s’y ajoutait. Mais alors il devenait très-curieux de savoir comment le malade était arrivé à une telle croyance. Il répondit : je croyais être un autre à cause des idées qui me traversaient l’esprit, des souffrances que j’éprouvais, de toutes mes habitudes changées, parce que tout autour de moi me semblait différent ou nouveau. Ces paroles répondent, à la troisième question. On y voit des sensations nouvelles, des idées nouvelles, des sentiments nouveaux qui se présentent à la conscience du malade, modifient sa manière accoutumée de sentir et de penser, lui offrent une série de rapports qui l’étonnent, le déconcertent, l’émotionnent et le mettent en état de délire : il croit être un autre tout en n’ignorant pas qu’il est lui.

Il y a lieu de distinguer en nous une série de sensations, d’idées et de sentiments accoutumés, et une série de sensations, d’idées et de sentiments nouveaux, inaccoutumés, cette seconde série se développant parallèlement à la première, les éléments de l’une s’assimilant aux éléments de l’autre : c’est la condition de l’évolution progressive de notre conscience, et ces deux séries appartiennent au domaine physiologique. La conscience du moi y est attachée dans sa forme sensitive et dans sa forme intellectuelle. Mais tandis qu’en général, à l’état physiologique et même pathologique, toutes les sensations périphériques ou viscérales de notre corps (par rapport au cerveau on peut comprendre dans le groupe périphérique les phénomènes viscéraux) paraissent intimement liées, avec les idées qui s’y rattachent, à la conscience du moi en localisation cérébrale il arrive dans quelques cas exceptionnels, ordinairement pathologiques, quelquefois cependant physiologiques —comme je le prouverai par un exemple, qu’il s’opère comme une solution de continuité entre les sensations périphériques