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galicier.la conscience du moi

d’intensité et comme tenue à l’état latent par la prédominance d’un phénomène intellectuel. Ce phénomène, écart de sa conscience intellectuelle par rapport à sa conscience sensible, simple croyance en employant ce terme comme opposé à connaissance, était le résultat d’une association d’idées. Ce malade conservait l’unité de sa conscience sensitive et l’unité de sa conscience intellectuelle à localisation cérébrale, variable seulement dans son intensité comme phénomène de conscience du maximum au minimum ; mais dans certaines conditions, par un écart de l’imagination et une erreur d’association, il concevait qu’il était devenu un autre, non un autre en tant que moi, car le moi proprement dit en tant que donné par la conscience cérébrale n’était pas atteint, mais un autre comme ajouté au moi, conception formée par l’association en groupe unitaire des sensations périphériques éprouvées et des idées bizarres qui lui traversaient l’imagination, croyance subjective ajoutée à la croyance objective et persistante du moi cérébral, véritable sophisme de l’esprit.

Après ces explications, la phrase du malade : « ce n’est pas moi qui suis ici, » ou « je suis un autre, » se traduit naturellement comme il suit : moi dont j’ai conscience, dont la conscience persiste quand même et au fond, c’est-à-dire avec un minimum d’intensité, je ne suis pas moi, je suis un autre. Cette décomposition de la phrase met en évidence l’erreur d’association. Si ce phénomène au lieu d’être passager était constant, on dirait que le malade est un fou, car tous les cas de folie que j’ai observés et analysés ont pour fondement psychologique ou pour principe une erreur d’association. Il y avait donc chez notre malade deux situations psycho-physiologiques différentes, suivant les moments : dans l’une, normale, il rapportait à la conscience sensitive et intellectuelle du moi cérébral toutes les sensations périphériques de son corps et les idées qui se produisent appuyées directement sur elles ; dans l’autre, anormale, tout en conservant la conscience du moi cérébral, il rapportait les sensations inaccoutumées qu’il éprouvait et les idées nouvelles qui en relevaient à un autre moi qui n’était pas le sien mais auquel il était lié. Cet autre moi, dont il faisait un Chinois ou un autre quelconque par erreur d’association, c’était son propre corps, son moi périphérique dont la conscience sensitive directe lui était momentanément comme voilée.

À cette première observation j’en ajouterai une seconde faite sur moi-même. M’étant couché très-fatigué comme cela m’est ordinaire, on vint me réveiller dans le premier sommeil pour aller voir un malade : je m’habillai, je sortis encore tout engourdi par l’influence du sommeil. Éprouvant dans tout le corps des sensations douloureuses de fatigue et de courbature qui me rendaient la marche pénible, je me surpris à répéter machinalement : tais-toi, mon pauvre corps, tais-toi. Quelque chose d’insolite me frappant dans cette circonstance, l’idée me vint d’analyser ce qui se passait en moi tout en cherchant à ne pas dissiper le reste de sommeil qui m’influençait encore. Deux choses m’apparu-