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galicier.la conscience du moi

mène intellectuel composé d’une association et d’une croyance, tels sont les deux éléments caractéristiques de cette situation psychophysiologique, les phénomènes qui se produisaient dans la conscience en forme présentative. Mais à côté et au fond, ou plus scientifiquement avec un minimum d’intensité un autre phénomène intellectuel existait en forme représentative, l’idée que le corps souffrant était le mien, idée qui n’était dans ma conscience cérébrale que comme un souvenir ou une idée acquise qui se représente à l’esprit sans s’appuyer directement sur des sensations actuelles. L’expression « tais-toi… » figure l’action de la mémoire ; c’est comme s’il y avait : toi que je sais être mon corps, tais-toi. Il y a donc, au point de vue de l’analyse psychophysiologique, une grande analogie entre ce fait et le précédent.

La formule psychologique qui me parait l’expression exacte de l’analyse de ces deux observations est celle-ci : — 1° modification primitive et nerveuse dans le rapport entre les sensations périphériques et la conscience du moi en forme cérébrale ; — 2° production consécutive d’un phénomène intellectuel d’association et de croyance en rapport avec cette modification de la condition sensitive ; — 3° correction par les idées acquises de la mémoire des données de cette association.

Ces deux observations, me paraissent avoir de nombreux points de contact avec celles du Dr Krishaber rapportées par M. Taine dans le numéro de mars 1876 de cette Revue, page 289 à 294. J’y renvoie le lecteur pour éviter de longues citations, me contentant de signaler à titre de résumé les phénomènes principaux communs à ces observations et aux miennes. On y remarquera que les malades croyaient que leurs membres ne leur appartenaient plus, d’où grand étonnement ; que leur corps n’était plus à eux, qu’il était un autre, d’où croyances consécutives diverses et plus ou moins bizarres ; qu’ils se figuraient parfois être ailleurs ou isolés du monde extérieur ; cependant qu’ils n’étaient jamais dupes de ces illusions dont ils souffraient beaucoup. M. Taine divise en deux phases la situation psychologique de ces malades : dans la première ils disent : je ne suis pas, je ne suis plus ; dans la seconde : je suis un autre.

Pour juger analytiquement cette condition psycho-physiologique il est encore nécessaire de décomposer les phrases des malades. « J’étais un autre, je n’existais plus, je n’étais plus moi-même, je me croyais très loin, je me croyais sur une autre planète… » sont autant d’expressions qui se décomposent comme il suit : moi dont j’ai conscience, moi qui suis moi, je suis un autre, je ne suis plus, je suis très-loin, etc… Qu’est-ce à dire ? Il importe de revenir à la distinction du moi en forme cérébrale et en forme périphérique. Dans les conditions ordinaires ces deux moi distincts comme localisation s’identifient et s’unifient en tant que moi dans la conscience cérébrale ou centrale qui possède la prédominance par suite de notre organisation. Dans certaines conditions névrosiques plus ou moins déterminées, les sensations périphériques affectent la conscience comme étant isolées ou indépendantes du moi