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ANALYSES. — VITRY. Abbozo di Sociologia.

isolés, non enchaînés par une cohésion matérielle. » Il y a loin de ce concours d’individus libres à une combinaison chimique.

Des agrégations successives forment de plusieurs familles la tribu, de plusieurs tribus la cité, de plusieurs cités la nation. Quelle est la force qui fond ces individualités de plus en plus complexes et compréhensives en des touts cohérents ? C’est le besoin qu’a tout être de vivre et de se développer, d’exister en un mot. L’individu, en effet, ne peut assurer sa conservation ni se perpétuer qu’en liant son activité à celle de ses semblables ; sa nature est telle qu’il ne saurait se vouloir lui-même sans vouloir autrui, ni prendre conscience de lui-même sans y embrasser d’autres consciences : de la sorte le moi se fait nous. Or cette force qui se manifeste tantôt par l’égoïsme, tantôt par l’altruisme et lie indissolublement le second au premier, est-elle donc sans analogue dans l’univers ? Pour M. Guarin de Vitry, elle n’est qu’une manifestation supérieure de la force universelle. « De même que les forces physiques se réduisent à deux, l’attraction et la répulsion, dont la résultante est le mouvement, de même que toutes les forces organiques se réduisent à deux, l’assimilation et la désassimilation, d’où résulte le mouvement vital, la vie, de même toutes les forces sociales se réduisent à deux, la force individualisante ou l’égoïsme, la force associante ou l’altruisme, et leur résultante est le mouvement social, » c’est-à-dire l’histoire.

On reconnaît dans cette théorie un reflet de celle qui proclame l’unité et l’équivalence des forces. C’est encore de la philosophie de l’évolution que notre auteur s’est inspiré quand il a cherché à déterminer les lois du mouvement social. Mais il y ajoute un trait qui lui est propre et change la physionomie du système. Spencer s’était borné dans ses Premiers principes, en appliquant sa loi générale de l’évolution aux phénomènes sociaux, à constater ce qui est ; M. Guarin de Vitry, après avoir dit à son exemple que le mouvement social se compose de différenciations et d’intégrations successives, cherche quel doit être le terme de ce double travail : ici l’esprit de Comte et celui de son prédécesseur immédiat réapparaît. M. Guarin de Vitry pense avec le maître que de la définition même de la sociologie, l’idéal d’une société peut être tiré. La meilleure est celle où l’adhésion des membres est entièrement volontaire. La plupart des sociétés actuelles emploient la force brutale pour contraindre leurs membres à l’obéissance ; elles ne sont que « des organismes embryonnaires. » « La puissance morale doit prendre le dessus et finalement triompher, puisqu’en elle nous reconnaissons la caractéristique qui nous distingue du monde inférieur. Avec le temps… la force trouvera sa limite dans la force d’autrui et reculera peu à peu à la lumière croissante de la liberté : la force cédera au droit. »

Ce ton et ces idées nous feraient croire que l’auteur abandonne de propos délibéré non-seulement la méthode expérimentale, mais encore toute méthode scientifique, s’il ne prenait soin de se justifier lui-même. C’est, pense-t-il, à l’exemple de la biologie que la sociologie constitue son type idéal : de même que dans la zoologie le type vertébré et parti-