Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome I, 1876.djvu/156

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rale d’esthétique populaire, quoique plusieurs chez nous ne répondissent guère à ce titre. Or de telles productions sont loin de mériter le mépris que leur témoignent souvent les critiques et les historiens voués à une école spéciale et qui n’estiment que ce qui a le caractère strictement scientifique (streng wissenschaftlich). Parmi les auteurs, il en est plusieurs qui, sans être des penseurs du premier ordre, sont des esprits très-distingués, des écrivains exercés et de talent, d’un savoir étendu et varié, suffisamment versés dans les matières qu’ils traitent. Quelquefois même se trouvant maîtres sur un point particulier de leur compétence spéciale, ils le traitent avec une rare distinction, de sorte que la science elle-même en profite pour son avancement. Il suffirait de citer des livres comme ceux de Fr. Thiersch, le savant helléniste, de H. Ritter, l’historien très-connu de la philosophie, de M. Lotze dont nous aurons à parler comme historien de la philosophie allemande. Ne pouvant les nommer tous, nous ferons quelques remarques propres à les réhabiliter et à les absoudre des griefs qui leur sont imputés. — 1o On ne peut contester leur nécessité et leur utilité comme destinés à enseigner et à propager la science. Leurs conditions sont spéciales. Avant tout il ne faut pas perdre de vue le but qu’on se propose ; ici on doit tenir compte des dispositions et du degré de culture des esprits auxquels on s’adresse. Une science qui a horreur de la popularité, qui s’enferme dans un sanctuaire avec quelques disciples est bientôt condamnée à l’immobilité et à la stérilité. Plus qu’aucune autre la philosophie allemande est connue par sa tendance à l’ésotérisme. Elle aime à parler une langue qui ne soit comprise que par les initiés. Le odi profanum vulgus et arceo est assez sa devise. Elle répéterait volontiers cette phrase de Cicéron que Hegel a prise pour épigraphe d’un de ses traités : « Philosophia paucis est contenta judicibus, multitudinem fugiens, ipsique etiam invisa et occulta. » Les livres dont nous parlons sont destinés à faire sortir le Dieu de son sanctuaire et à révéler ses mystères. — 2o Leur caractère est nécessairement éclectique. Vouloir s’imposer comme système aux intelligences communes est d’un sectaire et à tout le moins n’échappe pas au pédantisme. Faut-il pour enseigner, s’enrôler sous telle ou telle bannière philosophique, faire profession de foi à Kant, à Schelling, à Hegel, à Herbart ou à Schopenhauer ? Un choix éclairé de ce qu’il y a de meilleur dans les systèmes, autrement dit un sage éclectisme, est ici le seul parti sensé. L’enseignement y est condamné. On n’y est pas forcé d’avoir à soi et d’exposer aux autres un système logiquement enchaîné, dans toutes ses parties, par les procédés d’une dialectique subtile. Un lien plus extérieur suffit pour les faire profiter